Bonjour Jacques Sirgent, vous n’échapperez pas au petit rituel de présentation de Plume Libre. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous et votre parcours ?
Comment est née votre passion pour les vampires ?
Je suis né au Canada, de parents français et ai été élevé, jusqu'à l'âge de 10 ans, dans une école catholique irlandaise où les châtiments corporels étaient réservés en priorité à ceux qui posaient des questions auxquelles les maîtres ne trouvaient pas de réponse satisfaisante. Ils appliquaient encore la théorie, héritée de l'inquisition, selon laquelle les pires des crimes et des pêchés sont ceux de l'esprit. On nous apprenait, non pas à aimer Dieu, mais surtout à le craindre.Mon esprit fut donc porté très tôt vers le surnaturel et j'eus en même temps un sens aigu de ce qu'était l'injustice. J'ai vu le Nosferatu de Murnau à l'âge de 7 ans et fus terrifié jusqu'à 10 ans par l'obscurité que je ne supportais pas. Nous revînmes en France et mon père fut nommé au Lycée Voltaire où nous avions un appartement de près de 250 mètres carrés, propre à faire travailler l'imagination. Je me promenais dans les couloirs et les souterrains la nuit pour me débarrasser de ma peur panique de l'obscurité. C'est donc d'abord pour lutter contre la peur que je fus amené à m'intéresser aux créatures nocturnes. Mes lectures, Jean Ray, Thomas Owen, Barbey d'Aurevilly, Bram Stoker, Balzac, me guidèrent dans cet apprentissage de l'enfer du décor. Je me spécialisai à l'université dans la personnification du mal en littérature et après, au cours de 20 ans d'enseignement où j'avais eu tout le temps de traquer le mal chez les humains, j'en arrivai à penser que les vampires étaient un moindre mal puisque eux au moins,donnent quelque chose en échange du sang qu'ils prélèvent, l'immortalité, à défaut d'une vie éternelle. En somme, ce sont les êtres dits humains qui sont le plus à craindre.
D’où vous est venue l’idée d’en faire un musée ?
J'ai été témoin, au cours de ma carrière d'enseignant, de scandales et de scènes d'horreur qui annonçaient les scandales dévoilés dans certaines entreprises de télécommunications et pharmaceutiques. J'ai vu même pire et, étant par nature une « grande gueule », ma position devint parfois très inconfortable dans certaines entreprises et établissements d'enseignement supérieur. Il y a 6 ans, j'ai donc décidé d'ouvrir, dans une maison qui est dans ma famille depuis près d'un siècle, un musée dédié aux vrais vampires, pour montrer aux visiteurs que ceux qu'on nomme vampires aujourd'hui ( banquiers et profiteurs en tout genre …) insultent les « vrais » hématophages de la nuit.
De quoi se compose votre collection ?
Il s'agit avant tout d'un musée de l'imaginaire, alors la bibliothèque est au centre des collections : près de 1500 ouvrages dont certains datent du seizième siècle et qui portent sur l 'histoire, les histoires, la religion, les diverses chasses aux sorcières et, bien évidemment, tout ce qui a été écrit en langue française sur le vampire et aussi beaucoup d'ouvrages en langue anglaise. Une quarantaine de tableaux d'Isabelle Drouin, Lawrence Rasson, Antoine Cervero, Alexandra Dekimpe, Benoît Drouart, Olivier de Rivaz, Cendre. Une boîte, un kit, pourrait-on dire, anti-vampires, datant de la fin du 19e siècle. Des affiches de films. Une machine à écrire qui a servi à Bram Stoker pour taper une partie de son manuscrit quand il était en tournée théâtrale en Amérique du nord, avec le Lyceum theatre. Une photo dédicacée de Bram Stoker, ainsi que les photos dédicacées de tous les interprètes ayant immortalisé Dracula à l'écran, entre autres pièces … avec une vidéothèque de plus de 900 films de vampires.{gallery}sirgent{/gallery}
Directeur de musée, vous êtes également l’auteur de plusieurs romans consacrés aux vampires, comment se déroulent vos journées ?
Je suis un lève tôt, je sors vers 7 heures marcher jusqu'au cimetière du Père-Lachaise où je me promène et rentre vers 10 heures; j'écris, m'occupe du développement ( je suis directeur de collection) des éditions Juste-Pour-Lire. Je traduis et écris des articles pour des revues comme 5000 ans d'Histoire Mystérieuse, Complots et Dossiers Secrets, Mythologies et Religions, N.D.E. Je reçois, sur rendez-vous, des visiteurs pour des conférences au musée ou au cimetière du Père-Lachaise. Je passe parfois le relais à Clotilde d'Albepierre qui donne des conférences au musée et au cimetière et organise des séminaires de magie, histoire,théorie et pratique; sur la magie arabe, la magie amoureuse, la magie de protection; des moments exceptionnels. Clotilde vient d'ailleurs de faire paraître chez Camion Noir un livre remarquable, intitulé Michael Aquino, de l'Eglise de Satan au Temple de Set; mais c'est aussi une extraordinaire conteuse pour enfants, petits et grands. Son livre : Gros Matou et le Secret de l'arbre de vie, paru chez JPL est mon livre de chevet depuis plus d'un an.
Quelle est votre méthode de travail ? Comment organisez-vous vos recherches ?
J'ai la chance d'avoir pu réunir, au sein de ma bibliothèque, presque toutes les sources nécessaires ( je cherche toujours bien sûr …) pour mes recherches. J'ai une collection importante d'ouvrages en anglais et en français sur les Templiers, les Cathares, par exemple et la plupart des guides spirituels réservés aux élèves des collèges français au 19e siècle. Edifiants mais surtout terrifiants et très utiles pour mes ouvrages.
En février 2010, les éditions Camion noir sortaient « Dracula » de Bram Stocker dans son intégralité, pourquoi avoir accepté d’en assurer la traduction ?
C'est moi qui ai proposé une nouvelle traduction car les 6 traductions existantes à ce jour, sont toutes incomplètes et comportent des lacunes et des erreurs d'interprétation. Je pense avoir fait la traduction la plus complète, sinon parfaite, qu'on puisse faire. Isabelle Drouin, artiste et traductrice reconnue, m'a fait l'honneur d'écrire que j'avais fait pour Stoker ce que Baudelaire avait fait pour Edgar Poe.
Quel est votre vampire préféré et pourquoi ?
Ce n'est pas celui de Stoker car Dracula, où le vampire apparaît très peu, n'est pas un roman de vampires mais un livre sur l'image que les contemporains de l'auteur se faisaient du mal, à une époque très précise de l'histoire du Royaume-Uni. Le Dracula ( le personnage et non le film) de Coppola me plaît infiniment et un chauffeur de taxi vampire de San Francisco ( dans un film « central park driver ») qui immortalise les jeunes filles désespérées, les empêchant ainsi de mettre fin à leurs jours !
Depuis quelques années, les vampires reviennent en force. Quel regard portez-vous sur cette nouvelle vague et plus précisément sur ceux qui sont à « l’origine » de tout cela, les vampires de la saga Twilight ?
La saga Twilight ne traite pas de vampirisme mais d'une forme de sentimentalisme à l'eau de rose, très américaine. Le vampire est une créature d'opérette, de façade et c'est dommage car en « réalité, dans l'imaginaire des peuples, depuis l'antiquité, l'image de l'échange de sang a toujours symbolisé l'amitié ou l'amour éternel
A l’occasion du Salon du Livre de Paris, les éditions J’ai lu et les éditions Milady accueilleront une exposition des œuvres de votre musée. Comment est née cette idée ?
Cette idée est née chez un groupe de jeunes femmes exceptionnelles ( sans les flatter) des éditions J'ai Lu et qui m'ont proposé d'organiser ensemble une manifestation culturelle au cours du prochain salon du livre, à Paris. Il s'agit de redonner au vampire ses lettres de noblesse ...
Quels objets pourrons-nous y voir ?
La première édition française de Dracula, celle de 1919; l'un des premiers dictionnaires donnant la définition du terme vampire, le premier livre, dans une édition rare, évoquant la morsure du vampire et qui n'est pas celui qu'on croit. Des tableaux, quelques photos dédicacées; la plaquette publicitaire annonçant l'ouverture du Dracula Parc en Roumanie et qui ne verra jamais le jour; une très ancienne rose de fer, symbole, non pas d'amour éternel, quand on la pose sur une tombe ...
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Avez-vous des conférences de prévues ?
C'est à l'étude. J'ai commencé une série de conférences dans le Perche, à l'instigation de la médiathèque départementale de l'Orne et de celle d'Aigle; conférences qui se poursuivront à la fin du mois de mars. La médiathèque de l'Orme m'a demandé, avec l'assistance de l'artiste et illustrateur Lawrence Rasson, de créer 13 immenses panneaux, racontant l'histoire de la croyance aux vampires. Ces panneaux feront le tour de plusieurs bibliothèques et médiathèques de l'Orne. J'ai une conférence à l'université d'Ottawa, Canada, le 12 mars prochain mais je serais très heureux de pouvoir intervenir au cours du salon de Paris. La ville de Lille organise aussi de nombreuses manifestations en 2012 et centrées sur le fantastique. J'y interviendrai à deux reprises.
Pourrons-nous y trouver vos différents romans ?
L'on y verra au moins mes deux derniers livres : Anges, Vampires, Démons, les combattants de l'ombre; une étude comparative de ces trois créatures de l'imaginaire et Le volet III des Voleurs d'Ame(s), intitulé « Louisiane ... » qui raconte une aventure fantastique que j'ai vécue aux Etats-Unis, il y a près de 3 ans, un cauchemar à la limite du surnaturel. Ces ouvrages sont publiés aux éditions Juste-Pour-Lire.
Quels sont vos projets ?
J'écris une série d'articles pour les magazines N.D.E. Et Préhistoire ( sur les croyances de nos ancêtres préhistoriques), et aussi pour la revue Complots et dossiers secrets. Je commence aussi un roman hystérique sur la comtesse Bathory, dont j'ai écrit une biographie qui a été publiée chez Camion Noir.
Merci beaucoup Monsieur Sirgent, nous vous laissons le mot de la fin.
Le mot de la faim … l'époque se prête à ce genre d'interrogations. Que sommes-nous prêts à faire pour apaiser notre faim de pouvoir, d'argent, d'amour, de bonheur ? Le vampire, lui, n'est pas qu'un prédateur puisqu'il prend mais donne aussi en échange et surtout partage ce qu'il est, même si une vie de vampire peut paraître, à première vue, terrifiante ...