Claire Redfield
Philip K. Dick est connu pour ses romans et nouvelles de science-fiction et d'anticipation. Mais si, vous le connaissez : plusieurs de ses nouvelles ont été adaptées au cinéma pour donner les films Blade Runner, Minority Report , Total Recall ou Planète Hurlante. Pourtant, en 1953, Philip K Dick écrit un roman complètement différent : Les Voix de l'Asphalte . Jamais publié jusqu'à présent, ce roman raconte l'histoire de Stuart Hadley, 25 ans, marié, un bébé à venir, vendeur de télés, habitant la banlieue de San Francisco. Stuart a tout pour être heureux, et pourtant, sa vie ne lui convient pas, il étouffe, il ne sait à quel idéal se vouer. Alors Stuart s'interroge, tente de trouver une réponse à ses aspirations dans les extrêmes : extrémisme religieux, avec Les Gardiens de Jesus; extrémisme politique, quand il rencontre Marsha, éditrice d'un journal fasciste. Mais les extrêmes sont-ils la réponse à son mal-être ?
Dans ce roman, le personnage de Stuart cristallise toute la société américaine des années 50. Une société traumatisée par la guerre et la bombe atomique, une société violemment raciste et antisémite, une société proche du fanatisme religieux qui dissimule ses failles en prônant les valeurs du travail, de la consommation, de la construction, de la foi. Mais aucune de ces valeurs ne convient à Stuart. Dans ce roman terriblement actuel (tout ce qui y est évoqué est aussi le reflet de la société telle qu'elle est de nos jours), il ne se "passe pas grand chose", c'est vrai. Pourtant, chaque mot y a son importance, car chaque phrase, chaque évènement y est symbolique : une voiture qui roule trop vite sur l'autoroute, un mois d'août étouffant, chaque détail ramène à Stuart et son mal-être, et de là au mal-être de tout un pays au bord de la rupture. Et Stuart, à force de chercher des réponses, ira jusqu'à sa propre explosion, jusqu'à l'irréparable. Tout comme les banlieues ont explosé, tout comme une génération se réfugie dans la peur de l'autre . Ce roman est une véritable radioscopie du mal qui ronge le peuple depuis des années, quelque soit le pays, quelque soit l'époque.
Raven
Californie 1952, Stuart Hadley a tout, il est beau, un bon boulot (qu'il déteste), une épouse aimante, des amis, il va bientôt être papa et malgré tout cela il lui manque quelque chose, il en veut plus mais quoi de plus ? C'est là que le problème se pose, il ne sait pas. Stuart s'ennuie, il s'interroge sur la guerre de Corée qui fait rage au même moment à des milliers de kilomètres, cherchant des réponses, il va tout essayer, l'alcool, la drogue, le sexe et même la religion ... il va assister à un service religieux mené par un «gourou» charismatique. La rencontre avec Marsha Frazier et la lecture de son magazine fasciste et antisémite ne sont pas faites pour arranger les choses, bien au contraire.
L'ambiance générale du livre est sombre, outre cette chronique mordante de l'Amérique des années 50, c'est aussi l'analyse d'une descente aux enfers, l'observation d'un homme qui bascule vers la folie. Stuart se cherche un peu comme beaucoup de monde aujourd'hui, il se sent trahi par cette grande Amérique qui promet tant et ne donne en fin de compte pas grand-chose. Il est choqué par l'intolérance raciale et religieuse qui règne dans un pays qui se dit ouvert. Des thèmes qui sont encore au goût du jour plus de 50 ans après. Quelques longueurs dans ce roman qui reste une lecture des plus enrichissantes pour le style et le fond.
Les Voix de l'Asphalte, parution Octobre 2007 éditions Le Cherche Midi
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