Sophie Loubière





Sophie Loubière

 

 

Votre nouveau roman Cinq cartes brûlées est paru chez Fleuve Éditions,
pourriez-vous nous le présenter ?
Sophie Loubière - Cinq cartes brulées    Le roman s’ouvre sur une scène intime, crue, froide : un homme a un rapport sexuel avec une femme dans une chambre d’hôtel. Puis, une coupure de presse relatant une agression sanglante nous laisse supposer que quelque chose a dérapé dans cette chambre. Que s’est-il passé ? La réponse est à la fin du roman. Mais pour appréhender l‘affaire, je propose de remonter le temps, d’aller « aux racines du mal ». On va suivre pas à pas et mot à mot Laurence Graissac, une petite fille un peu trop ronde et malmenée par son frère ainé, puis Bernard Bashert, médecin dans un centre thermal à Chaudes-Aigues dans le Cantal, dont le couple bat de l'aile. L’une grandit dans une absence d’empathie, s’enfle de sucreries, de moqueries et du mépris des autres, mais brille d’une force physique et d’un caractère qui la mènent très haut sur un podium olympique. L’autre s’échoue chaque semaine à une table de black-jack, jouant à sa propre ruine. Chacun, à sa façon, va avec détermination, se retrouver acculé au bord du ravin de son existence.


Comme pour L'enfant aux cailloux, vous vous êtes inspirée d'un fait réel
pour commencer votre roman, qu'est-ce qui a retenu votre attention et
comment avez-vous construit cette histoire ?
    Le livre est né petit à petit, de l’assemblage d’éléments divers comme les pièces d’un puzzle. A l’origine existe un fait divers qui s’est déroulé à Nancy en Lorraine voilà une dizaine d’années. Un huis clos troublant sur bien des aspects: le profil particulier de l’agresseur et celui de la victime, la façon dont la tentative de meurtre est commise, le nombre de coups de couteau portés, l’absence de mobile, les motivations ou les raisons qui seront plus tard évoquées au procès par la personne mise en cause, et cette idée qu’une sorte de fatalité inéluctable a depuis le début désigné la victime... tout cela m’intriguait et m'interrogeait. Je savais que tout partirait et finira là, dans cette chambre. Mon travail serait donc de raconter la partie immergée de l’histoire, celle que la presse ne découvrira qu’au moment du procès. Une vérité que je m’appliquerais à transcender, modifier, créant des personnages dont les profils adhéreraient tout en se différenciant de la victime et de son bourreau. Ce qui importe n’est pas de mettre en scène la réalité ; les protagonistes de cette affaire ont assez souffert de l’exposition médiatique engendrée par celle-ci pour qu’un auteur ne vienne encore leur rappeler ce calvaire. Ce qui est essentiel à mes yeux, c’est la compréhension d’un mécanisme qui mène à pareille tragédie : la sociologie du crime. Ma démarche n’est pas éloignée de celle d’un criminologue.

Le personnage de Laurence Graissac est terriblement déroutant, comment
est-il né ?
     Comme souvent les personnages de mes romans, Laurence est née de plusieurs emprunts. Elle a reçu une part de ma propre enfance (j’ai eu un frère ainé qui m’en faisait voir de toutes les couleurs jusqu’à l’âge de 10 ans, après, il m’a fichu une paix royale) et de cet imaginaire puissant qui me mettait souvent à l’abri de la mélancolie.  Laurence a aussi la gaité et les bonnes joues potelées de Lolotte, la petite sœur d’une amie d’enfance qui nous collait toujours aux baskets. Laurence possède la douceur et la candeur d’une petite voisine de quartier dont les parents étaient infirmiers psy. Quant à son parcours d’adulte en surpoids, il est basé sur différents témoignages de femmes ayant subit une opération de chirurgie bariatrique (Sleeve). Chaque femme est multiple, faite des différentes étapes de sa vie. Il en va de même pour les hommes. Et le personnage de Bernard Bashert est lui aussi fait d’un assemblage de personnalités convoquées pour l’étoffer, le caractériser, l’incarner physiquement, lui donner une âme.

Comment avez-vous abordé le travail de transformation physique, mais
surtout psychologique de Laurence ?
    Répondre à cette question reviendrait à révéler certains éléments du roman. Ce qui m’est apparu comme une évidence, c’est que ce personnage devait murmurer presque au creux de l’oreille du lecteur, être au plus près, au point de puiser en lui ses propres émotions. D’où cette narration à la première personne qui rythme et marque le temps au fil des pages, tout en éclairant, distribuant ses cartes. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : étaler sous les yeux du lecteur un jeu dont il ignore la règle jusqu’au deux tiers du livre, voire jusqu’aux toutes dernières pages.

La violence entre frères et sœurs est malheureusement la plus fréquente,
mais également la moins reconnue, pourquoi avoir choisi d'aborder ce
sujet ?
     Parce qu’elle m’a touchée personnellement. Etre le souffre-douleur d’un frère ou d’une sœur (ou parfois de toute une fratrie) n’est pas sans conséquence. Ces « taquineries » à répétition enferment l’enfant dans un rôle de victime pleurnicharde et douillette. Les parents ne voient pas la perversité de ces jeux. Pour eux, comme pour les « petits bourreaux en culotte courte », cela ne porte pas à conséquence. Pourtant, nombreuses sont les personnes qui lors de mes rencontres en librairie viennent spontanément me confier avoir elles-mêmes été victimes ou bien dans le rôle de l’enfant maltraitant au cours de leur enfance.  

Votre roman aborde le sujet de l'addiction : comment avez vous travaillé
sur ce thème ?
     En me documentant sur les différentes addictions évoquées dans le roman : la nourriture, le jeu, le sport, le sexe. Les témoignages ne manquent pas sur Internet. Tous évoquent des parcours de vies brisées et des familles détruites. A petite dose, ce ne sont que plaisir et volupté. A forte dose, ces addictions agissent comme de véritables drogues. A en devenir fou dangereux.

Qu'avez-vous envie de dire aux lecteurs qui n'ont pas encore lu votre
roman ?
     Je leur conseillerais d’aller se promener sur le blog que je consacre aux coulisses du roman ; une façon de découvrir les personnages, les petits secrets d’écriture et le décor du livre (Le Cantal) au travers de photos, d’extraits musicaux, afin de mieux s’en imprégner. Je leur dirais de prendre leur temps, de ne pas « avaler » trop vite le livre, au risque de passer à côté de l’essentiel. De noter les phrases qui raisonnent en eux. Et surtout, de ne jamais perdre de vue une chose : ce qui est écrit n’est qu’une partie de l’histoire.
 

Quels sont vos projets ?
    Un recueil de nouvelles à paraître bientôt chez Pocket et le dernier volet de ma trilogie U.S. entamée avec Black Coffee.


Merci Sophie Loubière, nous vous laissons le mot de la fin.
Ce sera deux mots, et plutôt ceux par lesquels tout commence :
« Bonne lecture ! »

 Du même auteur Biographie, chronique, interview

 

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