Cyril Herry - éditeur

Cyril Herry





Avril 2011


Bonjour Cyril Herry, une petite tradition chez Plume Libre : pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis né à Limoges il y a quarante ans et je vis en Creuse, en lisière d’une forêt. Jusqu’à mes 18 ans, je voulais être dessinateur de BD, mais j’ai découvert la photo au cours de mes études. Tout a été bouleversé. La vidéo a ensuite enrichi le champ des possibles. J’écris depuis assez longtemps, mais je n’ai qu’un seul roman édité à ce jour. J’ai créé les éditions Ecorce en novembre 2009.


Comment vous est venue l'idée des Editions Ecorce et comment sont-elles nées ?

A force de lire et de côtoyer des auteurs pertinents sur Internet, sur des forums, jamais édités ou seulement de façon confidentielle, j’ai eu envie de créer une collection de romans noirs et de les inviter à l’inaugurer. Ce fut le cas d’Eric Maneval et de Fred Gévart. Je déplorais que ces auteurs n’existent pas en dehors d’un microcosme virtuel. L’idée et les germes d’Ecorce sont nés sur Internet.
Le statut juridique de la maison d’édition est associatif depuis août 2010.

Pouvez-vous nous parler de votre métier d’éditeur, quels en sont les avantages et inconvénients ?
Fred Gevart - BoisCe n’est pas un métier. Je ne suis pas un professionnel de l’édition. Je n’ai suivi aucune formation et Ecorce ne me rapporte pas un centime. J’ai appris sur le tas, en observant, en écoutant, en tirant des leçons, en mesurant précisément des avantages et des inconvénients. Tout ceci pendant deux ans environ, jusqu’à ce que je me décide à donner un nom au projet et à en rédiger les statuts. Je me suis lancé en sachant ce que je voulais faire et, surtout, ce que je ne voulais pas faire. Il n’y a ni avantages, ni inconvénients, il y a des expériences et des risques. Mais il y a d’abord du plaisir, à ne pas confondre avec partie de rigolade. Le plaisir d’accompagner la naissance de romans qui m’apparaissent forts et de les défendre à travers une collection.


Quelle est votre ligne éditoriale ?

A l’heure actuelle, la rubrique « manuscrits » du site de la maison d’édition indique encore que les romans doivent se dérouler en région Limousin, intégralement ou en partie. Cette contrainte est appelée à disparaître à court terme, d’abord pour débarrasser définitivement Ecorce de l’étiquette « régionaliste », et aussi parce que les romans sont beaucoup plus lus en dehors de la région que dans la région même.

En étudiant la ligne graphique de la collection, je ne tenais pas à ce que les romans portent un boulet local en manipulant leurs titres, les photos de couverture ou les synopsis insistant sur le fait que C’est arrivé près de chez vous. J’ai subi ces contraintes en tant qu’auteur ; je n’allais pas les imposer aux auteurs que je souhaitais défendre.

Quand la rubrique « manuscrits » du site sera modifiée, elle précisera que nous recherchons des romans noirs qui se déroulent dans les années 2000 et mettent en scène des personnages sujets à un mal-être social pouvant se décliner en comportements décalés, suspects, dérangeants, ou en actes inadmissibles aux yeux des lois qui régissent le corps social qui est à l’origine du mal-être.
Des romans qui reflètent leur époque.

Qui compose vos comités de lecture ?
Des personnes plus ou moins proches, mais en qui j’ai confiance. Les relecteurs du roman de Fred Gévart n’étaient pas les mêmes que ceux d’Eric Maneval. Pour le troisième, la combinaison sera encore différente. Ce qui importe, c’est que ces relecteurs, qui sont essentiellement des relectrices, disposent d’un recul que je n’ai pas.

Comment cela se passe pour la diffusion de vos publications ? Comment organisez-vous la « promotion » des romans de vos auteurs ?
Nous travaillons sans diffuseur pour le moment. Les romans sont simplement référencés sur différentes bases de données et présents dans une quarantaine de librairies réparties dans des grandes villes de l’Hexagone. La promotion s’effectue surtout par Internet dans un premier temps, et grâce à des libraires fidèles qui défendent les romans de la collection. Nos auteurs participent bien sûr aussi à des salons et autres événements leur permettant de rencontrer des lecteurs et d’autres auteurs. Il est probable que sans Internet, Ecorce n’aurait jamais vu le jour.

Pour une jeune maison d’édition le choix de ses premiers romans est extrêmement important. Comment s’est porté votre choix sur Retour à la nuit d’Eric Maneval et Bois de Fred Gevart ?
Ces deux auteurs m’ont semblé posséder un grain propre et de véritables intentions. J’entends par là qu’ils savent dans quel monde ils vivent, qu’ils parviennent à s’y situer et pour quelles raisons l’écriture leur est apparue comme la forme la plus appropriée pour exprimer leurs idées, leurs envies et leurs peurs.
L’équilibre est compliqué entre les intentions et la forme qu’on va leur donner. Si les intentions l’emportent, la forme d’écriture peut en subir les conséquences et apparaître plate, académique, sans aucun intérêt. A l’inverse, un style brillant peut n’avoir rien à dire.
J’ai trouvé cet équilibre chez ces deux auteurs.


À quel rythme seront publiés les prochains romans ? Quels seront les prochains auteurs de cette collection ? Un scoop à nous révéler ?

Aucun rythme n’est déterminé. Dès le départ, il n’était pas question de se tenir à une périodicité. Peu importe à mes yeux la durée qui sépare deux sorties de romans. Ils voient le jours quand ils sont prêts à le voir.
Je ne suis pas certain du nom de l’auteur du troisième roman de la collection Noir.
En revanche, je sais quels auteurs je vais inviter à participer au cinquième recueil collectif de la collection Arobase. Mais le projet est un embryon, donc je n’ai pas de noms à donner.
Et pas le moindre scoop, j’en suis désolé.

Eric Maneva - Retour à la nuitQuel est le parcours d'un manuscrit jusqu'à son édition ?
C’est une chaîne compliquée.
En presque deux années d’expérience, j’ai pu constater que beaucoup de personnes ignoraient en quoi consiste le rôle de l’éditeur. Nombreuses aussi sont celles qui confondent imprimeur et éditeur. Il y a aussi des auteurs qui estiment que leur manuscrit est irréprochable, indiscutable quand ils l’envoient, et que l’éditeur n’a plus qu’à le mettre en page, à lui coller une couverture, à lui attribuer un numéro ISBN et à l’envoyer chez l’imprimeur.
Je pense qu’il existe quelques auteurs dont les textes ne nécessitent quasiment aucune correction, modification, intervention, mais ils sont rares. Les manuscrits parfaits, je n’y crois pas. Il n’y a pas de perfection. Tout est toujours discutable et subjectif, d’autant plus dans une époque où n’importe qui est techniquement en mesure de dire qu’il aime ou qu’il n’aime pas (sans forcément argumenter). Rien n’est parfait, rien n’est terminé. L’œuvre de Roman Opalka, depuis 1965, le démontre formellement.

La notion de collection implique nécessairement celle de cohérence, donc d’exigences à l’égard des textes susceptibles de l’intégrer. Aux deux auteurs édités à ce jour dans la collection Noir, j’ai demandé peu de modifications en ce qui concerne le corps de leur intrigue. Je les ai surtout accompagnés dans le processus qui consiste à ce que le texte soit le plus abouti possible, d’abord à leurs yeux, puis aux miens. Lapider des digressions inutiles, traquer des mots plus justes, lyncher des paragraphes vains, amputer des phrases, par exemple. C’est ce travail là, d’accompagnement, qui demande le plus de temps. Il peut représenter des centaines d’heures de travail, à l’écran, au téléphone, devant des litres de café ou d’alcools colorés. Au final, je pense avoir lu une quinzaine de fois les romans de Fred et d’Eric. Eux-mêmes ont dû les lire cinquante fois, au moins.
Ensuite, quand on estime que le roman est « terminé », nettoyé, le plus abouti possible, vient la phase de mise en page. Une personne beaucoup plus compétente que moi en la matière s’en occupe, afin que le fichier soit conforme aux conditions d’impression du roman.
Entre temps, il est question de l’objet livre lui-même, sa couverture, son synopsis, sa finition, c’est à dire du produit de cette chaîne ; celui que les lecteurs tiendront entre leurs mains et ouvriront pour le lire – ou reposeront au bout de vingt secondes parce que le synopsis ne leur parle pas. A ce stade là, il importe que le titre, la photo de couverture et le synopsis en quatrième de couverture soient fidèles au contenu du roman. Que ces éléments, premièrement, conviennent à l’auteur, et, deuxièmement, qu’ils ne mentent pas au lecteur.

Et c’est le jour où un transporteur vous livre des dizaines de cartons qu’une autre forme d’aventure commence.

Quels conseils donneriez-vous à un auteur avant de vous faire parvenir son roman ?
Qu’il lise cette interview.

Que pensez-vous du Thriller français dans le monde littéraire actuel ?
Je ne lis pas suffisamment de thrillers pour me permettre d’avancer une opinion.
Je me souviens que mon « idée » du thriller est venue à l’époque où je lisais abondamment Stephen King. Dans le désordre, entre autres, Christine, La part des ténèbres, Simetierre et Shining m’ont profondément marqué.
Par la suite, le thriller s’est en quelque sorte démocratisé ; il m’a échappé car je lisais d’autres auteurs à ce moment-là, comme Cioran, Kafka et Debord. Je n’ai pas assisté à l’explosion du genre en France. Je ne rattraperai pas mon retard, mais je lis un roman qualifié de « thriller », à juste titre ou non, de temps en temps. Le dernier en date était Fractures, de Franck Thilliez, et le prochain devrait être Zone Est, de Marin Ledun.
Cela dit, je pense que si Kafka se frottait aujourd’hui au genre, il en terroriserait plus d’un. De même, je pense que Houellebecq serait en mesure d’en livrer un, absolument effrayant.

Quel regard portez-vous sur l'émergence des blogs et des sites littéraires sur le Net ?
Certains se regroupent et tentent de former une unité, mais beaucoup d’autres naissent et gravitent autour ou s’éloignent du noyau pour s’en distinguer, si bien qu’on ne sait plus trop qui écouter. On ne sait plus à quel regard critique se fier, tellement les regards abondent. Je vais répéter ce que je dis plus haut, mais aujourd’hui chacun est en mesure de créer un blog ou une page Facebook, et dire qu’il aime ou qu’il n’aime pas, mais ça ne suffit pas. Personnellement, je suis dans l’attente d’arguments, d’analyses fondées, de références. C’est valable pour les livres, les films et les faits de société. Dans le cas contraire il n’y a plus de critique, mais juste des opinions individuelles. La critique est un travail qui résulte d’un parcours, d’un cheminement, d’une recherche. Pas d’une combinaison de goûts et de couleurs.

Quels sont les projets d’Ecorce cette année ?
A vue d’œil, je dirais un troisième roman dans la collection Noir et un cinquième recueil virtuel dans la collection Arobase. Mais rien n’est sûr pour le recueil virtuel.

Merci beaucoup Cyril Herry, nous vous laissons le mot de la fin.
J’ai écouté en boucle le dernier album de The kills en répondant à vos questions. Je préférais le précédant, mais je suis tellement soulagé qu’Alison Mosshart et Jamie Hince ne se soient pas séparés depuis, que je parviens peu à peu à l’aimer.
Merci Stéphane.

 

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