Frédérick Rapilly

 

 

 

 

Frédérick Rapilly





Bonjour, Frédérick Rapilly, pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de revenir avec un nouveau roman ? 
    Depuis Le Chant du Diable publié en 2012, il s'est passé quoi... Ah, oui, six ans quand même ! Disons que j'étais occupé à vivre ou survivre. J'ai quand même publié deux, trois nouvelles et écrit une biographie non autorisé sur David Guetta. A l'époque du Chant des Âmes et du Chant du Diable, j'étais rédacteur en chef adjoint d'un grand magazine et je coordonnais beaucoup de journalistes pour sortir un numéro toutes les semaines. Depuis, je suis redevenu grand reporter et j'ai gagné en liberté et indépendance. Il m'a fallu aussi du temps parce que je voulais me renouveler, surprendre mes lectrices et mes lecteurs, et enquêter pour que l'intrigue de Dragon Noir soit aussi crédible que possible sans que cela devienne un pensum. Je voulais aussi écrire un livre où le personnage principal serait une héroïne, donc me glisser un peu dans la tête d'une femme. Je n'avais pas trop l'habitude.


Dragon Noir -Frédérick Rapilly Vous avez commencé l'écriture de Dragon noir avant Le Chant du Diable, votre précédent roman, pourquoi une aussi longue gestation pour celui-ci ?
   
 J'étais parti sur une première idée après Le Chant des Âmes en 2011, et on m'a suggéré d'en faire une suite très vite qui est devenu Le Chant du Diable. Elle est sortie en 2012. J'ai donc repris Dragon Noir une deuxième fois et j'ai écrit 200 000 signes. Je me souviens très bien, j'étais à Bali, au bout du monde, en décalage horaire et j'écrivais la nuit en fumant des cigarillos sur la terrasse avec le bruit des grenouilles et des crapauds, pendant que ma compagne dormait. Et puis, on est rentré à Paris. La vie « normale » a repris, et j'ai à nouveau délaissé Dragon Noir. Trop occupé. Je l'ai repris à zéro début 2017. Mes éditeurs étaient venus un peu me chercher, genre : « Alors, qu'est-ce que tu fous ? On t'attend ! » J'étais en train de me séparer, de changer de boulot, et l'écriture m'a fait du bien. Je m'y suis plongé à fond.


Comment vous est venue l'idée de baser votre roman sur la Russie et sur la mafia russe ?
   
En vérité, ce n'est pas la mafia russe, mais une mafia russe : les VoryV Zakone (Les Voleurs dans la Loi). J'étais en République Dominicaine sur un spot de surf qui s'appelle El Encuantro, et il y avait ce type très gros et très costaud assis dans un sous-bois. Il m'a rappelé le colonel Kurtz que joue Marlon Brandon dans Apocalypse Now. Je me suis dit qu'il ferait un super méchant. En République Dominicaine, il a beaucoup d'investissements bizarres qui viennent de Russie. J'ai commencé à me renseigner, puis je suis tombé sur ces Vory que l'on voit un peu dans le film Les Promesses de L'Ombre de David Cronenberg. On ne sait pas grand-chose sur ces types, mais j'ai cherché. Et j'ai fini par tomber sur des histoires pas très nettes avec Vladimir Poutine et comment il était arrivé au pouvoir..


Comment est née Marina, le personnage principal ?
    Si vous entriez dans mon cerveau, vous auriez du mal à vous y retrouver. Ce que je peux dire, c'est que je m'appuie souvent sur la réalité. Quand je faisais mes études de journalisme à Bruxelles, j'avais une copine russe très jolie et très intelligente qui s'appelait Marina Droujinina. Elle me fascinait et me faisait rire. C'était l'un des points de départ. Après, je voulais étonner le lecteur en l'emmenant sur une fausse piste, celui du monde des escort-girls. Marina en est une... En apparence. Mais c'est comme un mille feuilles, ou plutôt un oignon même si c'est moins bon. A chaque couche que vous enlevez, Marina est différente. L'idée principale que j'avais en tête, c'est ça : une femme qui se trouve dans un endroit où elle n'aurait pas du être qui devient une proie et doit sans cesse réagir pour rester en vie, jusqu'à ce qu'elle prenne conscience qu'elle peut aussi devenir un prédateur.


La musique est très présente , une nouvelle fois, dans votre roman, est-elle indissociable de votre écriture ?
   Je ne sais pas si on peut dire que je suis un écrivain rock parce que j'écoute plein de musiques différentes, du jazz, de l'electro, de la techno, du classique et du métal. Je pense que je pourrais écrire sans musique, et ça m'arrive souvent de travailler en silence mais un morceau peut me donner des intentions, susciter une image. Parfois, je me crée des petits films avec une bande son. Dans Dragon Noir, quand Marina écoute le rock gothique des Sisters of Mercy ou Where is my mind ? des Pixies, je l'entends en même temps que j'écris. Après, je comprends très bien que cela puisse passer au dessus de la tête de ma lectrice ou de mon lecteur, donc je ne vous promets pas qu'il y aura de la musique dans mon ou mes prochains romans. Par ailleurs, je suis sourd d'une oreille depuis la naissance et il semblerait que j'ai développé une hyper sensibilité aux sons. C'est peut-être un début d'explication…


On pense à plusieurs influences dans Dragon noir, comme la saga Jason Bourne par exemple, comment les avez vous abordées lors de votre écriture ?
   
En les assumant. On peut aussi dire qu'il y a un peu de Nikita, de Millénium (les livres, les différents films, et la série suédoise), de la BD XIII ou encore Le Baiser Mortel du Dragon de Chris Nahon. Si vous cherchez bien, il y a aussi Meurtres pour Rédemption, un super bouquin de Karine Giébel. J'ai découvert via un copain en corrigeant mon livre qu'il y avait aussi un roman de Jason Mathews qui s'appelait Le Moineau Rouge. Il y a même eu un film avec Jennifer Lawrence. J'ai lu et vu tout ça. Comme j'ai lu et adoré Dragon Rouge de Thomas Harris. D'où le titre Dragon Noir, qui est un clin de d'œil et un petit plaisir que je me suis fait. De mon côté, j'ai écrit l'histoire que je voyais dans ma tête avec des personnages que j'ai inventés, et une intrigue que j'espère complétement originale. J'ai fait des repérages, j'ai rencontré des gens qui sont dans le livre d'une façon ou d'une autre, j'ai discuté avec des flics, des escort-girls, des militaires, des pompiers, un médecin légiste, des journalistes, des marins... Je leur ai posé plein de questions, je leur ai soumis des chapitres pour vérifier si ce que j'écrivais tenait la route. Il y a une expression en anglais, genre : « Make believe is writer's best friend. » En gros, faire croire, c'est le meilleur ami des auteurs.


Avez-vous songé à une possible adaptation au cinéma ou téléfilm, les scènes du roman très visuelles s'y prêtant? 
   
Oui, et non. Ce n'est pas vraiment moi qui décide. Si Dragon Noir trouve ses lectrices et ses lecteurs, et si un producteur, un milliardaire, un actrice ayant beaucoup d'argent, une chaîne ou une plateforme genre Netflix ou Amazon s'y intéresse, alors on verra. Mais ça fait beaucoup de « Si. » Ca n'empêche pas d'y penser un peu le matin en se rasant. Mes éditeurs aussi. Du moins, je crois.


Dans Dragon Noir, on peut lire à travers le personnage du journaliste une certaine vision de ce métier et de son évolution avec les nouvelles technologies et le monde actuel. C'est quoi pour vous être journaliste aujourd'hui ?
    Etre curieux. Poser des questions. Trouver des informations. Les recouper. Aller voir sur place. Se tromper, recommencer, chercher à nouveau. Eviter de recopier systématiquement des communiqués de presse sans envoyer c... les attachés de presse ou de communication qui font leur boulot. Les contourner si besoin. Faut toujours les contourner. Mais je n'ai pas de vraie réponse définitive. De mon côté, comme je suis journaliste, j'essaie déjà de me tenir à ça.


Qui sont pour vous les vrais journalistes ?
  
   Cela voudrait dire qu'il y a de faux journalistes, alors ? Je ne sais pas trop quoi répondre. J'ai des copains qui sont grands reporters, qui vont régulièrement en zone de guerre couvrir des conflits, qui ont le Prix Albert Londres et vont aussi suivre des mariages royaux en Grande-Bretagne, ou des athlètes en compétition. J'en ai d'autres qui posent des questions à des chanteurs ou des acteurs en promotion. D'autres encore qui écrivent des articles scientifiques dans Le Monde ou des reportages sur des vieux gréements dans des revues sur les bateaux. Tout ces gens sont des vrais journalistes. Ils exercent juste dans des médias différents. Moi-même, je n'ai pas vraiment fait le compte mais j'ai travaillé et publié dans une quarantaine de médias différents. Et si je dis que je suis grand reporter, ce qui est vrai, et que j'ai interviewé Julia Roberts la semaine dernière, je sais bien que ce n'est pas la même chose qu'être en Syrie ou en Libye. Le principal, c'est d'essayer de faire son boulot avec honnêteté.


Mark Torkan est absent de Dragon noir, allons nous retrouver le héros, de vos deux premiers romans, dans le futur ?
  J'aimerai bien. J'ai une idée de livre qui, dans ma tête s'appelle « Mor » comme la mer en breton, ou « Salé », qui pourrait le voir reprendre vie. Mais je réfléchis aussi à une suite de Dragon Noir, et à plusieurs autres idées de polars ou de thrillers dont un, « Moai », se déroule sur L'Île de Pâques. J'ai déjà écrit un pitch, un synopsis et entamé des recherches. Je travaille aussi avec un ami graphiste sur un roman graphique autour de la vie de Bruce Lee.

Quels sont vos coups de cœur récents (musique, ciné, livre...) ?
Mes derniers coups de cœur ? En livres : Corruption de Don Winslow, Power de Michael Mention, Réveille-toi  de François-Xavier Dillard... J'ai adoré Entre Deux Mondes  d'Olivier Norek,  L'Année du Lion de Deon Meyer. Et cet été, j'ai pris une claque, longtemps après tout le monde, avec Sukkwan Island  de David Vann. Pas un polar mais un bouquin, genre survivaliste en mode Stephen King. Ca manque un peu de filles, non ? Alors, j'ai souri et pleuré avec La Malédiction de la zone de confort de Marianne Lévy. Un petit bijou. Et je vais commencer Inexorable de Claire Favan. Là, je risque plutôt de trembler et de faire des cauchemars. J'ai aussi hâte de lire les prochains David Khara, et Jacques Saussey, et je suis toujours Ghislain Gilberti, Eric Giacometti, Bernard Minier, Nicolas Beuglet, Maxime Chattam et Franck Thilliez.
En musique, je viens de découvrir un type bizarre, Mount Sims, qui fait un truc qui mélange de l'electro et de la cold wave. Je me passe en boucle le morceau « No Yellow Lines. » Il m'obsède. C'est dansant mais... Bizarre. Allez voir sur YouTube ! Et je m'écoute tout Paul McCartney, les Beatles, l'album Revolver, Sgt. Pepper's Lonely HeartsClub... Je me rattrape, je ne connaissais pas très bien, tout en lisant une bio de Philip Norman où t'apprends que le premier joint de cannabis fumé par Mick Jagger, c'est le « gentil » Paul qui le lui a fourni. Et en ce moment, j'aime bien Owle. Une française que vient de sortir son 2ème album,pop, electro, je-ne-sais-pas-trop quoi. Et Miossec, et Dominique A, et Father John Misty, et.... J'arrête.


Merci, Frédérick Rapilly, on vous laisse le mot de la fin.
    Et bien, respirez un bon coup, et plongez-vous dans Dragon Noir. Ou alors, rendez-vous à la plage pour surfer un petite session.

 Du même auteur : Biographie, chronique, interview
 

 

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