Patrick Graham



Patrick Graham - Ces lieux sont morts

 


Bonjour Patrick Graham, votre nouveau roman, Ces lieux sont morts, vient de paraître. Pouvez-vous nous le présenter ?
    Ces lieux sont morts traite de la mémoire brisée de ceux qui se réveillent d’un long coma après un traumatisme violent. Le plus souvent, ces patients ne savent plus parler, ni lire ou écrire. Ils ont aussi oubliés leurs proches ainsi que leurs souvenirs les plus intimes. Leur mémoire est en fait comme un miroir qui aurait explosé sur une dalle de ciment. Des milliers de fragments contenant des millions d’images, d’odeurs et de sons. Vient ensuite l’heure du réveil et de la lente rééducation de cette mémoire afin que le patient se réapproprie peu à peu ce qu’il était. Les lieux morts sont alors ces endroits troubles où les souvenirs réels se mêlent aux reconstructions artificielles que le cerveau a élaborées pour tenter d’apporter une explication au traumatisme qui l’a plongé dans le coma. Ce sont des lieux sombres, tourmentés, dont se nourrissent nos terreurs les plus ancestrales. Des lieux très proches de la folie. Comme si, devant faire le choix pour se reconstruire entre l’irrationnel et le néant, le cerveau aspirait à cette folie. Ici commence alors le travail des psychiatres et des réanimateurs sensoriels : à l’aide de sons et d’odeurs, ils aident les patients à faire le tri entre leurs souvenirs et les lieux morts. Mais parfois ils se trompent, réveillant alors des forces qui les dépassent.

 

Vous avez changé d’éditeur pour ce roman. Était-ce une nécessité pour revenir aux thrillers ?
    Mon propos n’était pas de changer d’éditeur mais de poursuivre avec le précédent sur l’axe littérature générale que nous avions emprunté pour les projets suivants, tout en revenant aux thrillers avec une autre équipe. Cette solution n’a pas été retenue par mon éditeur précédent qui a préféré se désengager de ses obligations contractuelles, devenant ainsi mon ex. Je ne m’étendrais pas plus là-dessus pour le moment. Un livre est en préparation sur le sujet où je révélerai tout ce qu’il y a dire à ce propos.

 

Patrick Graham - Ces lieux sont mortsCe nouveau roman est plus proche de vos premiers livres (L’évangile selon Satan et L’apocalypse selon Marie) que des suivants (Retour à Rédemption et Des fauves et des hommes), comment vous est venue l’idée de ce roman ?
    Je sortais de l’aventure des Fauves et des Hommes et j’avais envie de renouer avec le thriller pur, m’éloigner un peu de la Noire, pour mieux y revenir par la suite. Ou pas. Je recherchais une scène de démarrage mettant en scène Marie Parks, parce qu’elle me manquait au moins autant que le reste. L’ennui avec ce personnage, c’est que nous avions entamé notre rupture par un acte manqué. Sans renier l’Apocalypse selon Marie, rien dans la fin de ce livre ne me convenait, en particulier mais pas seulement parce que Marie se retrouvait soudainement maman d’une gamine douée de pouvoirs aussi redoutables que ceux de la jeune Alia Atréide dans Dune (c’était la fin de mon époque « acide et Pepsi-cola », sale mélange). Que faire d’un tel personnage ? Laisser passer du temps, puis reformater et rendre au personnage principal une virginité de situation. Et c’est en fait de là que l’idée de Ces lieux sont morts est née. En échafaudant la disparition brutale de cette fille adoptive, je partais du principe que Marie sombrerait dans une terrible dépression. Au commencement du livre, elle se retrouvait donc sanglée à un fauteuil de contention dans une salle capitonnée d’un hôpital psychiatrique où elle était soignée pour dépression, mutisme, tentatives de mutilation et de suicide. Très amaigrie, nourrie par des perfusions à dispositif anti arrachement, et incapable de parler, elle se trouvait alors en présence d’un autre personnage que je ne distinguais pas encore mais dont je savais déjà qu’il s’appelait Eric Searl. Ceux qui ont lu les deux premiers livres savent que Marie a connu une longue période de coma après un grave accident où elle a perdu son fiancé et leur fille. Après ce coma, dont elle a émergé avec ces dons de médiumnie qui lui permettent d’enquêter à la fois dans le présent et dans le passé, elle réintègre le FBI et devient cet agent spécialisé dans la traque des tueurs en série les plus dangereux. Dans mon esprit, il était donc question que l’inquiétude principale de ce docteur Searl réside dans le fait qu’à force de s’enfoncer ainsi dans la dépression et le mutisme, le cerveau de Parks risquait de sombrer à nouveau dans un coma irréversible. C’est comme ça que m’est venue l’idée que Searl était un spécialiste de la rééducation des patients rescapés de comas profonds. Pourquoi je vous raconte tout ça ? Ah oui ! Donc Parks est sanglée à son fauteuil de contention et Searl est assis à son bureau et essaie d’entrer en contact avec elle. Ils se connaissent. Ils ont été amants. Parks a une grande confiance en Searl et c’est aussi pour cela qu’on a fait appel à lui. Hormis eux et deux infirmiers costauds censés surveiller Parks, il y a aussi une vieille infirmière assise sur un fauteuil à côté du bureau de Searl. Une vieille infirmière morte depuis longtemps et que seule Parks est capable de voir. Ses visions ont recommencé et c’est aussi cela qui la terrifie. En gros, c’est comme ça que le livre devait débuter. Et puis, quand Searl a commencé à expliquer à Parks sa méthode de rééducation à partir des sons et des odeurs, j’ai dit « coupez ! », j’ai relu le scénario, et je me suis dit qu’il y avait là une histoire intéressante à traiter. Cette scène de Parks sanglée sur son fauteuil a donc basculé en début d’un livre suivant, et j’ai concentré l’action sur ce docteur Searl et les secrets terrifiants que lui-même abrite. Évidemment, Marie m’en veut énormément de cette ultime trahison mais elle sait que, comme tout écrivain, je suis un agent de personnages et que c’est un sale boulot que de sélectionner ceux qui vont faire partie d’une nouvelle aventure. Elle sait aussi que je l’aime et que j’honorerais très bientôt cette promesse de la faire revenir au centre de mes livres.

 

Dans ces lieux sont morts, Searl travaille auprès des malades plongés dans le coma. Quelles ont été vos recherches sur ce sujet ? Vous êtes-vous basé sur des procédures existantes pour en parler ?
    Pour l’anniversaire de mes dix ans, j’ai eu un skate-board et une leucémie aigue. Entre deux séances de chimio, j’ai fait un arrêt cardiaque qui m’a plongé dans une période de coma de trois semaines. A mon réveil, j’avais perdu la plupart de mes souvenirs, je ne reconnaissais plus mes proches, et je ne savais plus lire, écrire ou compter. Je me souviens de mes dessins de cette période post-réveil. Des traits bistre, hachurés, des scènes tourmentées, des feuilles noircies au crayon gras, et des silhouettes qui se profilaient au milieu de ces limbes obscures. A l’époque, j’ai été rééduqué à l’aide d’odeurs et de sons. Surtout des odeurs en fait. On était loin des méthodes sensorielles utilisées actuellement mais je garde à jamais ce souvenir d’odeurs de craie, de cuir et d’asphalte envahissant mes sinus, et de ces images qu’on me présentait pour réassocier mes souvenirs. Je me souviens aussi que j’avais un pyjama bleu. Bref, mes recherches ont donc été pas mal guidées par cette expérience. Ensuite, comme tout le monde, j’ai fait le siège de spécialistes pour en savoir autant que possible sur le sujet. Il est d’ailleurs troublant de constater à quel point, même pour ces pontes, les mécanismes subtils du coma, et, surtout, les séquelles qu’il laisse à jamais dans le cerveau des réveillés, demeurent un mystère.

 

Vos personnages ont une fois de plus une histoire très forte à nous raconter, quel est celui dont vous vous êtes senti le plus proche et pourquoi ?
    Sans hésitation le shérif Ed Crawley. Ce gars me fascine parce qu’il va jusqu’au bout. Comme dans chacun de mes livres, j’ai besoin d’un personnage christique dont le destin forcément tragique va absoudre le manque de compassion des autres. C’est mon côté protestant. Comme Ézéchiel Brody dans Retour à Rédemption, j’aime les personnages comme Crawley parce qu’ils sont honnêtes et innocents au sens absolu du terme. Il vient d’apprendre qu’il a un cancer, sa Norma est morte quelques temps plus tôt, plus rien ne le rattache à la vie, hormis cette gamine qui a disparu et qu’il veut à tout prix retrouver avant de mourir, parce qu’il est flic, parce qu’il a commencé le job, et qu’il n’imagine pas tirer sa révérence avant de l’avoir achever.

 

De manière plus générale, comment travaillez-vous ? Avez-vous en tête les événements clés de votre récit avant même de commencer la phase d’écriture ou vous laissez-vous porter au gré de votre inspiration ?
    Je travaille à l’instinct, à la pulsion, comme un prédateur. Je ne fais jamais de plan. Je n’y arrive pas. Je suis un metteur en scène. Je trace des marques à la craie pour mes personnages et ensuite je les laisse improviser et s’emparer de l’histoire. Je ne sais pas faire autrement. En fait, mes livres commencent toujours par une sensation, une impression, des sons et des odeurs, une scène fondatrice qui contient tout le reste. Ensuite je m’enferme dans mon monde, je retiens mon souffle et j’écris.

 

Qu’avez-vous envie de dire aux lecteurs qui vont lire votre roman ?
    Qu’ils m’ont manqué. Que si je m’interdis de penser à eux quand j’écris, que si écrire est une urgence vitale et une absence de choix, c’est aussi pour eux que je le fais.

 

La 2ème partie de cette histoire est-elle déjà écrite et surtout quand sera t-elle publiée ?
    Elle est en cours d’écriture. La scène fondatrice est passée. Elle contient tout. Il n’y a plus qu’à tracer les marques à la craie.

 

Quels sont vos autres projets ? Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
    Sur cette suite des Lieux morts, mais aussi sur un autre livre très important pour moi, qui était en cours d’écriture et que mon ex a sacrifié sans autre forme de procès sur l’autel de la discorde. Ce livre est l’histoire vraie d’une amie de mon fils aîné, une jeune mère de famille agressée sexuellement à plusieurs reprises au sein d’une communauté religieuse, et d’une petite ville de province qui se ligue pour la faire taire. Je reprends actuellement l’écriture de ce livre pour l’achever et le proposer à un autre éditeur. J’ai un troisième projet en cours : l’année dernière, à la suite d’une rupture d’anévrisme, j’ai subi une opération lourde, sternum ouvert, cœur arrêté, mort-vivant sur la table. Comme je le disais plus haut, j’écris actuellement le récit de ce que j’ai vécu pendant cette période particulièrement sombre, l’hospitalisation, la convalescence, les douleurs résistantes à la morphine, et les crimes silencieux que même des circonstances aussi particulières n’empêchent pas.

 

Comme d’habitude, nous vous laissons le mot de la fin.
    Fin


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