Alexis Ragougneau

Alexis Ragougneau





Février 2014




Alexis Ragougneau

 

 

Bonjour Alexis Ragougneau, commençons par le rituel de la première interview sur Plume Libre, pouvez-vous vous présenter ?
A cette question Pirandello répondait : « Attendez que je pose la question à mes personnages… » Cette réponse m’a toujours semblé lumineuse, et aussi merveilleusement honnête. N’est-ce pas la meilleure, voire la seule manière de se présenter pour un écrivain ? Enfin je vous en dirai tout de même un peu plus : j’ai 40 ans et j’écris pour le théâtre depuis maintenant une bonne douzaine d’années.


Vous êtes auteur de théâtre, vous avez publié et créé plusieurs pièces qui ont été saluées par la critique, comment êtes-vous passé du théâtre à écrire un polar ?

Le théâtre m’a appris à donner de la chair à mes personnages ; lorsqu’on crée une pièce sur scène, on se rend compte des insuffisances d’un personnage dès le stade des répétitions, parce que le comédien chargé de l’incarner n’a pas assez de munitions pour défendre son rôle. Au fil de ces années consacrées à l’écriture théâtrale, je me suis de plus en plus attardé sur l’aspect humain, mettant progressivement de côté la recherche purement formelle. L’étape suivante, assez logique, consistait à développer des parcours de personnages sur un format plus long qu’une pièce de deux heures, c'est-à-dire à l’échelle d’un roman.


Comment est né votre roman La Madone de Notre-Dame ?
Au départ, c’est un concours de circonstances. Il y a quelques années, j’ai travaillé à Notre-Dame de Paris. Un boulot provisoire mais qui m’a laissé le temps d’engranger tout un tas de sensations, d’anecdotes, de silhouettes… Et puis, quelques temps après cette expérience, l’idée d’écrire un polar se passant dans la cathédrale parisienne m’est venue, peut-être parce que j’ai perçu cette extraordinaire église comme un lieu où l’on met en scène l’affrontement du Bien contre le Mal, ce qui est aussi, d’une certaine manière, la définition du roman policier.


Pouvez-vous nous présenter La Madone de Notre-Dame en quelques mots?
L’histoire débute au lendemain des cérémonies du 15 août à Notre-Dame de Paris. Une jeune femme, très belle, vêtue de blanc est retrouvée morte dans l’enceinte de la cathédrale. Son vagin a été fermé à la cire de cierge, comme si le meurtrier avait cherché à lui refaire une virginité. Très vite, un suspect est arrêté, mais la police semble confondre vitesse et précipitation. Devant l’erreur judiciaire qui s’annonce, un prêtre anticonformiste va reprendre l’enquête, aidé par une jeune substitut du palais de Justice.


Vos personnages sont très denses, humains, se démenant dans un environnement chaotique, comment les avez-vous créés ?
Un environnement chaotique, c’est justement ce qui permet de mettre un être humain face à lui-même. C’est dans le chaos que l’on se dévoile à soi-même. Si cette petite idée est vraie dans la vie, elle l’est d’autant plus en matière de littérature. Mes personnages principaux doivent souvent surnager dans un univers assez sombre, c’est vrai. Mais, d’une façon ou d’une autre, leur combat consiste essentiellement à garder intacte leur foi dans l’humain. Des veilleuses qui persistent à briller dans l’obscurité, voilà ce que sont mes personnages.


La Madone de Notre-Dame - Alexis RagougneauVotre personnage principal est un prêtre-détective, on peut y voir aussi un parallèle entre la police et l'Église, est-ce ce rapprochement et cette dualité entre justice des hommes et justice divine qui vous a inspiré ?
Dans un essai sur le roman policier écrit dans les années 20, Kracauer développe une idée passionnante : le mystère profane a remplacé le mystère divin, et le détective doit parfois se substituer au prêtre, car le criminel qu'il recherche est avant tout un pécheur en quête de rédemption. Le détective est donc à la Police ce que le prêtre est à l'Eglise... J'ai eu envie de prendre cette idée, pour ainsi dire, au pied de la lettre, en inventant un personnage de prêtre-enquêteur. C'est ainsi qu'est né le père Kern.


Votre roman, comme son titre l'indique, se déroule en grande partie à Notre-Dame, comment écrit-on sur un tel lieu ?
A travers cette expérience de travail à Notre-Dame, j’ai appris à connaître la cathédrale « de l’intérieur », c'est-à-dire à découvrir les rouages de cette gigantesque machine architecturale, spirituelle et humaine. La seconde étape a consisté, tout en gardant intactes les images et les sensations que j’avais stockées, à transformer Notre-Dame en un décor de roman pour y faire évoluer des personnages de fiction. Il s’agissait en somme de trouver la bonne distance entre réalité et fiction.


Notre-Dame n'est pas épargnée par les événements dans votre roman, pour rétablir l'équilibre pouvez-vous nous donner trois bonnes raisons d'y aller ?
Pour entendre le grand orgue et sentir sa musique vous transpercer. Pour la statue de « la Vierge au pilier » dont la grâce et la beauté sont à couper le souffle. Il y a mille autres raisons d’aller à Notre-Dame, mais j’espère que la lecture de mon roman est l’une d’entre elles.


Avez-vous eu des retours du Clergé depuis la parution de votre roman ?
Non.


En écrivant La Madone de Notre-Dame avez-vous envisagé une éventuelle adaptation télévisuelle, théâtrale ou cinématographique ?
Lorsque j’écris, je ne pense pas aux éventuelles adaptations. J’essaie de raconter mon histoire en usant à 100% des moyens offerts par le genre que j’ai choisi (théâtre ou roman). Ceci étant dit, je pense avoir une écriture assez visuelle. Et puis Notre-Dame de Paris est un extraordinaire décor en soi. Je pense que mon histoire pourrait faire un bon film.

 

Quels sont vos projets à venir ?
J’apprends à marcher sur deux jambes… Je vais donc continuer à combiner écriture théâtrale et écriture romanesque.


Quels sont vos derniers coups de cœur littéraires, musicaux ou cinématographiques ?

Spontanément, j’ai envie de parler de la formidable adaptation cinématographique de La Taupe de John le Carré. Le film est sorti il y a peut-être deux ans mais je ne l’ai découvert que récemment, avec l’extraordinaire Gary Oldman dans le rôle de Smiley.


A quelle question que l'on ne vous a jamais posé en interview, auriez-vous aimé répondre ?
« Pourquoi écrire ? »


Merci Alexis Ragougneau, nous vous laissons le mot de la fin.
Je lisais l’autre jour les Carnets d’Albert Camus. Au détour d’une page, il y a cet aphorisme qui résume de façon lumineuse la démarche de l’écriture : « Y monter chaque fois c’est chaque fois la conquérir, tant le chemin qui y mène est escarpé. »



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