Andrea H.Japp



 

Andrea H. Japp - Sang d'encre - Novembre 2006

 


Bonjour Andrea Japp, première question rituelle sur Plume libre : La présentation Qui est Andréa H. Japp ?
    Vaste programme... (Rires). J'ai commencé à écrire en 91. Je suis scientifique. J'ai toujours été scientifique en fait, j'ai dirigé un laboratoire en toxicologie alimentaire pendant 18 ans. Et puis, il y a eut une petite frustration professionnelle à un moment. Frustration qui est née du fait que la recherche est nécessairement un travail d'équipe, et c'est une excellente chose. Le problème est que lorsque vous regardez ensuite ce qu'il vous revient personnellement, il n'y a rien. Rien n'est à vous, tout est à un groupe. Et, j'ai eu envie d'avoir quelque chose qui m'était propre, qui m'appartenait. J'ai commencé à écrire et soumis le roman pour le prix Cognac. Il l'a obtenue (En 1991, la Bostonienne NDLR). Puis il y eut un phénomène de boule de neige..


Docteur en biochimie. Toxicologue de formation. On vous retrouve à écrire des romans. Un rêve qui devient réalité ? Comment vous est venue cette envie d'écrire ?
    Pour être tout à fait franche, j'ai commencé par la peinture. C'était avant tout une envie d'artistique, de création. Je suis une folle de peinture. Devant mes résultats pathétiques... Je voyais très bien l'image dans ma tête mais curieusement, le résultat sur la toile ou autre était absolument affligeant. Je me suis dit que là, je m'acheminait vers la dépression nerveuse et qu'il fallait mieux que je fasse autre chose (Rires) Aimant le polar et aimant les mots, je suis ensuite passée à l'écriture de polar


Une lectrice qui est devenue auteur alors ?

    Tout à fait.


Votre premier roman date de 1991, La Bostonienne, Vous remportez alors le prix du roman policier du festival de Cognac. Depuis lors, vous avez écrit plus d'une vingtaine de romans. Vous menez de front d'autres activités comme le scénario de BD, l'édition ou d'autres ayant trait aux sciences. Comment menez-vous toutes ces activités de front ?

    Pour les sciences, j'ai pris une disponibilité de quelques temps. Et ce maintenant depuis deux ans. Mais je continue effectivement non pas la recherche mais la science parce que tout simplement j'adore ça. Fait extraordinaire, la science fait partie des quelques rares certitudes que l'on peut avoir dans le monde. Donc je n'ai pas du tout l'intention de lâcher la science. Je dors très peu. C'est l'avantage. Je ne suis pas du tout insomniaque mais ce qu'on appelle une petite dormeuse. Je dors trois quatre heures par nuit comme un bébé. Par conséquent, les journées de travail sont beaucoup plus longues.


Parmi ces activités donc, il y a notamment votre travail de traduction, de l'œuvre de Patricia Cornwell notamment. Comment devient-on d'auteur, traducteur ? Comment devient-on plus particulièrement traducteur de P. Cornwell ?
    Ce fut tout à fait un hasard. J'étais auteur dans la première maison d'édition qui a publié Patricia Cornwell qui était Le Masque. Et puis, cet auteur faisant appel à énormément de procédés et méthodologies scientifiques assez haut de gamme, l'éditeur a souhaité avoir quelqu'un à la fois de littéraire et de scientifique. On m'a alors proposé. J'ai accepté parce qu'ayant vécu assez longtemps aux Etats-Unis, je voulais garder un contact avec la langue et avec la société américaine. Je ne traduis en fait que Patricia Cornwell. .


Et si on vous proposait un autre auteur?
    Je n'ai pas le temps. Ce n'est pas un manque d'intérêt. Il existe des auteurs extraordinaires que j'aimerai bien traduire, mais c'est un manque de temps. C'est vrai aussi que je ressens une espèce de, fidélité puisque j'ai retraduit tous les Cornwell. Même ceux que je n'avais pas traduits. Et je pense sincèrement que si un auteur des ces vingt dernières années a compté dans le polar, c'est Patricia Cornwell. Elle a vraiment amené quelque chose de complètement nouveau.


Les sciences criminelles... ?
    Voilà. Et puis aussi, un regard sur les victimes qui n'existait pas avant. Une espèce de compassion sans mièvrerie sur les victimes. Pour en revenir à la difficulté, le gros problème quand on est auteur est d'arriver à s'oublier pour traduire l'autre. Il n'est pas question que je fasse du Japp. .

 

L'exercice de traduction est totalement différent de celui d'écriture. Comment passe-t-on de l'un à l'autre? Commente tait-on son style au profit de celui d'un autre ?
    Je crois qu'il faut être un petit peu schizophrène à un moment. Il faut se dire que l'on n'est plus auteur. Que l'on n'a absolument plus droit au chapitre. On est un instrument de traduction et d'adaptation à la langue française. Et un point c'est tout. Avec un immense respect pour le style de l'auteur. Un prisme par lequel l'œuvre passe. Nous sommes alors un outil intelligent..


Vous vous dépersonnalisez complètement? Vous ne laissez jamais transparaître votre travail dans la traduction?
    Ce n'est pas toujours simple. Je relis deux trois fois les traductions. Il arrive alors que je repère un de mes mots, donc je l'enlève.


Combien de temps faut-il pour traduire ?
    La traduction en elle-même est rapide. Après, pour une traduction intelligente qui rende justice à l'auteur et à son œuvre, il faut bien compter trois mois mais en travaillant à plein temps. En dormant peu, sans dimanche et sans week-end. Je lis très rapidement pour ne pas commettre d'erreur. Ensuite, je traduis comme ça au fil de la plume. Après, je relis avec le texte de sorte à vraiment améliorer le français sans changer l'anglais. A travailler les anglicismes. De plus, la syntaxe anglaise est inverse. Il convient donc d'y prêter attention. En réalité, il y a beaucoup plus de travail de relecture que de traduction en tant que telle. .


Les lecteurs de P. Cornwell ont observé dans les derniers livres un changement de style. Quelle a été votre réaction face à ce changement? Est-ce déstabilisant pour un traducteur ?

    En réalité, C'était assez étrange puisque je retraduisais ses premiers romans pendant que je traduisais les derniers. effectivement il y a une rupture extraordinaire de son style. D'abord, elle est passée au présent alors qu'elle écrivait au passé simple. il s'agit d'un temps auquel le lecteur français n'est pas vraiment habitué. C'est un temps de l'action immédiate. Ensuite, elle est passée de Scarpetta "Je", où ses lecteurs l'associaient complètement au personnage, à Scarpetta "Elle". Je pense qu'elle a agi ainsi parce qu'elle avait besoin de prendre du champs par rapport à Scarpetta. Le changement est donc important. Le style est enfin assez différent. La syntaxe a changé, en plus anglo-saxonne, avec des phrases parfois très courtes, parfois longues et en tous cas percutantes. Il fallait complètement changer de style pour rendre compte de ces évolutions. La priorité, comme je vous le disais, est de s'oublier. D'un autre côté, c'est aussi grisant de devoir soi-même tout remettre à plat avec l'auteure, ça secoue les habitudes. Ce nouveau style redonne une espèce d'urgence, une autre tension à ses romans qui en ont toujours eu mais de façon différente.

 

Vous êtes également un des auteurs français les plus prolifiques. On pourrait résumer votre œuvre par la simple litanie "Quand quantité rime avec qualité". Cependant, on ne cesse de vous comparer bien évidemment à Cornwell. Cette comparaison ne vous lasse-t-elle pas?
    Pas vraiment. J'avais le choix de ne pas vouloir mettre mon nom. Ça m'a gêné au début parce qu'effectivement il y avait systématiquement une comparaison entre elle et moi. Puis, nos lecteurs respectifs ont compris qu'il existait entre nous des différences fondamentales. Et ce n'est pas parce qu'on manie toutes les deux les sciences légales que nous écrivons la même chose. Ce n'est pas parce que nous avons toutes les deux des personnages féminins que l'on parle de la même chose... Il s'agit plus d'une espèce de raccourci journalistique "Cornwell= Japp" & "Japp= Cornwell". Comme on en voit beaucoup. Je pense que les lecteurs font très bien la différence. Au début, j'avais beaucoup de lecteurs qui venaient me voir en me disant "J'en aime deux: Cornwell et vous!" Maintenant, on vient plus me dire que les deux œuvres sont très différentes.


Justement, quelles sont vos influences littéraires ?
    Tennessee William1. J'ai baigné dans la littérature anglo-saxonne très vite. J'avais un père qui était passionné par le polar, la science-fiction et le fantastique. Je pense que j'ai pris cette vielle passion pour le livre. Et pour les sciences aussi, c'est un fait. .


Et du coup, un roman signé fantastique signé Japp?  ?
    Ce n'est pas exclu... Je viens de faire avec un cinéaste qui s'appelle Olivier Mégaton2, qui a réalisé entre autres la Sirène rouge, un petit film pour Canal qui est border line fantastique. J'ai l'idée originale qui a été ensuite scénarisée. J'étais ravie. Il a pris cette histoire-là parce qu'il voulait prouver qu'il était parfaitement capable de filmer des rapports humains.

 

[SPOILER POSSIBLE]
Parmi votre œuvre, il existe la trilogie regroupant De l'autre le chasseur, Un violent désir de paix et Sang premier. On y suit le destin d'une femme chassée par son mari qui a tué entre autres ses parents. Cette histoire était-elle une trilogie à l'origine ? Ou bien avez-vous ressenti le besoin (ou l'envie) de prolonger la vie d'Hélène, cette jeune femme ?

    Non. Je n'ai pas de plan. J'écris toujours sans plan. Je me lance. Lorsque je commence l'écriture, j'ai une intrigue générale, une idée que je veux illustrer. Dans ce cas précis, il s'agissait des rapports maternants entre un homme psychopathe et une femme qui est sa créature. Et donc, je pars sans plan et je vois. Si je tombe sur des personnages et des rapports que je veux pousser, dont la chaire est suffisante, je fais une dilogie ou une trilogie. Sinon, je fais un unitaire.

 

C'est donc en écrivant que vous vous rendez compte si vous avez la matière pour un ou plusieurs romans ?
    En général, autour de la moitié ou les deux tiers du premier roman, je sais le nombre de tomes. Premier roman que je n'écris pas dans l'ordre. J'écris des scènes ponctuelles. Ca peut paraître bordélique mais, en réalité, c'est extrêmement structuré.(Rires) J'écris la première scène jusqu'à ce qu'elle me plaise. Je peux l'écrire cinquante fois. Puis, je fais des scènes au hasard, comme elles me viennent. Au cours de l'écriture tout se met en place. Évidemment, cette méthode peut poser tout un tas de problème parce que chemin faisant j'oublie la couleur des yeux, la couleur des cheveux etc.... Mais, ce n'est pas grave. En revanche, pour tout ce qui est mécanique et structure, les choses se mettent admirablement en place. .


Vous vous concentrez sur le polar depuis vos débuts. Et ce, sous toutes ses formes. Toutefois, il y a parmi votre œuvre deux ovnis surprenants : Et le désert et Enfin un long voyage paisible. Ces deux livres sortent totalement de l'orbite du polar. Pourquoi cette envie de changement ?
    C'est une envie de douceur tout simplement. Pour le cas de Enfin un long voyage paisible, il s'agit certes d'une histoire affreuse mais c'est une histoire de tendresse, une histoire d'amour. Il s'agit brusquement d'une espèce d'envie de douceur. Et ce même si elle est effroyablement triste....


Observatrice ...?

    Effectivement. Je compte faire un recueil de nouvelles pour Calmann3 quand j'aurai un petit peu de temps. Parce que j'aime bien les nouvelles. Et, en fait, ça va être ce genre. Il s'agira de nouvelles avec des gens dans des restaurants, des tranches de vie.

A notre époque, une nouvelle vague d'auteur s'étend sur l'insoutenable et nous décrit à n'en plus finir des meurtres sanguinolents et autres. Alors que vous non. Il s'agit de polar donc il est question de meurtre mais vous n'insistez pas outre-mesure sur les descriptions des corps.

Quel est votre avis (de lectrice ou d'auteur) sur cette nouvelle vague d'auteurs devenus maître du thriller?

    En tant qu'auteur, je n'en ai pas.
En tant que lectrice, je n'aime pas. Je n'aime pas parce que je crois que l'étalage -et je n'utilise pas ce mot dans un sens péjoratif- l'étalage de la violence n'a d'intérêt pour moi personnellement que lorsqu'il permet d'avoir une espèce de réflexion. Sur la violence. D'où elle vient. Comment on peut la contenir. Il existe des violences nécessaires et d'autres qui ne sont pas acceptables.
Montrer un meurtre, montrer un viol etc.... Non, je n'en ai pas envie. Et ce, parce que ça ne sert pas ce que je veux dire. Mon obsession dans le polar est en quelque sorte une structure western. Il y a bien et le mal, et l'homme au milieu. Comment il va s'en sortir? De quel côté il va glisser? Je pense que l'on ne sait jamais de quel côté on va glisser avant que la situation n'arrive. Donc ce qui m'intéresse ce sont les situations de rupture. Vous êtes monsieur tout le monde, je suis madame tout le monde. Nous sommes des gens civilisés, et on pourrait continuer comme ça très longtemps. Et brusquement, il va se passer quelque chose dans votre vie. Un viol, un meurtre, un kidnapping... Et vous allez cristalliser ce qu'il y a de plus viscéral en vous. Et de quel côté vous allez?


En fait, votre idée du roman policier (et du roman tout court) est très proche de la littérature de Stephen King. Dans un autre style, mais la trame est similaire. Un monde normal, puis un événement imprévu qui change la donne
    Exactement c'est ça. C'est la réaction de gens tout à fait simple dont on ne peut deviner la réaction vis-à-vis d'un imprévu de cette ampleur.


En tant qu'auteur femme, ou autrice. Je sais pas trop comment on dit...
    Auteure disent les canadiens. (Rires)

Ah oui?... Il existe de plus en plus d'auteures de polar. Que ce soit en France ou à l'étranger. On peut par exemple citer pour l'hexagone, Maud Tabachnik. Pourtant, elles n'ont pas attendus aujourd'hui pour écrire.
Comment analysez-vous cet attrait du lectorat? Existe-t-il vraiment?
    Il existe réellement. Mais c'est très franco-français. Il a toujours existé des femmes auteurs dans les pays anglo-saxons. C'est nous qui avons pris du retard. La vague d'auteur féminin anglo-saxon n'est pas récente. Mais, en France, effectivement, je crois que les femmes ont apporté essentiellement deux choses dans le polar. Déjà, elles ne connaissaient pas les règles du polar (du moins dans mon cas...), et du coup on les a fait sautées. Par conséquent, il n'y avait plus de règles.

 Et deuxièmement, je crois qu'elles ont amené un sens du quotidien, qui n'existait pas dans les polars. Et ce, justement parce qu'on est en prise avec le quotidien.

Quels sont vos derniers coups de cœur?
    Mon dernier coup de cœur... Alors, il y en a un qui va vous paraître bizarroïde. Il s'agit d'un remarquable bouquin paru au Seuil écrit par Alain Demurger, et qui s'appelle Les ordres religieux militaires. Il s'agit d'une somme bibliographique historique très sérieuse sur les différents ordres: templiers, teutoniques... C'est remarquable.
Et puis, le bouquin de Brigitte Aubert qui s'appelle Le chant des sables chez le Seuil aussi, et qui est remarquable. C'est un polar. En plus c'est une amie. Elle écrit admirablement bien.

Tennessee William est un grand auteur américain qui écrivait de la poésie et du théâtre. A travers ses pièces violentes, il traitait de ses grands problèmes personnels (Racisme, homosexualité...). Nombre de ses pièces ont été transposées au cinéma. Il est de nos jours un auteur de référence pour beaucoup


2 Olivier Mégaton est un jeune cinéaste et un touche-à-tout de génie. Son premier film est Exit produit par Luc Besson. Souvent présenté comme un jeune de l'écurie Besson, leur style n'a pourtant rien à voir. Son dernier film est la sirène rouge, l'adaptation cinématographique du thriller de Maurice G. Dantec

3 Calmann-lévy est une des maisons d'édition qui publie Andréa H. Japp, avec Le Masque.

 Du même auteur sur Plume Libre : Biographie, chronique, interview


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