Karine Giebel

 

 

 

Karine Giebel

 

Karine Giebel depuis notre dernière interview en 2007 vous avez collectionné les récompenses (Prix Intramuros, Prix Sncf du polar...). Tout cela a-t-il modifié votre façon d'aborder votre travail d'écriture et votre quotidien ?
Avant tout, ces récompenses m'ont apporté beaucoup de bonheur. Cette reconnaissance des lecteurs est un encouragement essentiel qui me permet de surmonter les inévitables doutes qui jalonnent le parcours d'un auteur et qui me pousse à tenter de m'améliorer, ligne après ligne.
Mais je n'ai pas l'impression que ces prix ont changé ma façon d'aborder l'écriture. Je continue à créer comme au début, avec la même passion, la même sincérité, sans « calcul commercial », en y prenant du plaisir et en respectant les lecteurs, c'est à dire en essayant de bannir toute complaisance, gratuité ou facilité.
Quant à mon quotidien, je ne vis toujours pas de ma plume et continue à conjuguer mes deux carrières, ce qui n'est pas évident tous les jours...

 

Comment est né votre dernier roman : « Jusqu'à ce que la mort nous unisse », quelles furent les étapes dans son élaboration?
Jusqu'à ce que la mort nous unisse a été écrit il y a quelques temps et retravaillé en profondeur en 2008 / 2009. Je n'ai rien changé à l'histoire, mais j'y ai par contre apporté d'importantes modifications au niveau de l'écriture, une sorte de lifting, car mon style a évolué au fil de mes romans et celui-ci devait absolument bénéficier de ce que je crois être un progrès dans ma façon d'écrire.
Dans ce livre, j'ai décidé de conjuguer mes deux passions : l'écriture et la montagne. Le Mercantour, et notamment la vallée servant de décor à cette intrigue, est un endroit que je connais bien pour y avoir travaillé et qui, aujourd'hui encore, est pour moi un refuge où j'aime aller me ressourcer.
J'avais envie, en quelque sorte, de lui rendre hommage et de partager mon amour pour ces lieux.
La montagne est un endroit magique qui, je trouve, grandit l'âme et diminue l'ego. Un endroit qui enseigne l'humilité sous peine de sanction mortelle.
Dans ce roman, elle est un véritable personnage : belle, attirante, fragile, changeante mais aussi angoissante et parfois cruelle.
« Jusqu'à ce que la mort nous unisse » est une ode à la Nature, une invitation à la découverte du Mercantour. On note dans votre roman aussi quelques gestes de bon sens écologique. Quel est votre rapport à la nature et votre regard sur l'environnement?
L'écologie est à la mode. On n'est d'ailleurs pas loin de l'overdose médiatique... après tant d'années de silence, la prise de conscience semble s'amorcer.
Mais personnellement, j'ai toujours été une « écologiste », une vraie. C'est un combat que je mène depuis fort longtemps. C'est tout simplement, pour moi, une évidence, une question de bon sens.
L'écologie, ce n'est rien d'autre qu'un combat pour la vie. Je vais enfoncer les portes ouvertes, mais tant pis : sans notre planète, nous ne sommes rien, détruire notre environnement équivaut à un suicide. Nous profitons égoïstement de ses richesses, sans nous soucier des générations futures, sans respecter ce qui nous entoure et nous nourrit. Nous exploitons, gaspillons et détruisons. Quelle belle trilogie.
Or, aucun autre animal ne détruit son biotope à part l'Homme ! Cherchez l'erreur...

 

Vous abordez également d'autres thèmes dans ce roman comme le deuil, l'amitié, l'amour, la trahison. Des ingrédients que l'on retrouve également au cœur de vos autres romans. Sont-ils des piliers essentiels pour construire la trame de vos histoires?
Ma principale source d'inspiration, ça a toujours été et ça demeure l'humain. Voilà la matière essentielle que je travaille. L'humain et la société dans laquelle nous vivons.
Alors bien sûr, les thèmes sont récurrents, mais j'essaie de les aborder sous des angles différents à chaque fois.
Imaginez un sculpteur qui sculpte toujours des personnages. Des hommes, des femmes, des enfants... Pourtant, à chaque œuvre, il va les représenter dans des positions différentes, pétris d'émotions différentes, etc.
Pour l'écriture, c'est finalement un peu la même chose : l'amour, l'amitié, la trahison, la vengeance, la souffrance, la liberté, la jalousie, etc. sont des sources d'inspiration inépuisables. Ainsi que les relations complexes qui se nouent entre les personnages ou encore les travers de notre société.
Pourtant, j'entends souvent les lecteurs me dire que mes livres sont tous différents les uns des autres et ça, c'est un beau compliment.
J'essaie de surprendre à chaque nouvel opus. Pour cela, je change d'atmosphère, d'ambiance, d'univers...
Et comme je n'ai pas de héros récurrent, je jouis d'une totale liberté dans la construction de mes intrigues, mais ça m'oblige à créer à chaque roman toute une galerie de nouveaux personnages ce qui est, au final, passionnant.

 

Le regard des autres est également important dans votre livre. Comment l'autre est perçu avec ses différences ou ses faiblesses. L'action de votre roman se déroule dans une petite ville de province. Pensez-vous que ce regard est plus dur, plus cruel dans un milieu rural que dans les grandes métropoles? Et au final la genèse d'un crime et ses conséquences ne sont pas les mêmes d'un lieu à l'autre?
L'action se déroule en effet dans un village. Et c'est vrai qu'à la différence d'une grande ville, on ne peut pas bénéficier ou pâtir de l'anonymat. Tout le monde connaît tout le monde, on ne peut pas se balader incognito dans les rues. Ça présente des avantages, mais aussi des inconvénients.
L'avantage, c'est que l'on n'a pas l'impression d'être un numéro parmi d'autres, un inconnu au milieu de la foule. Ça peut créer une certaine solidarité ainsi qu'un sentiment de sécurité.
Mais par contre, dès qu'on bouge un orteil, tout le monde est au courant ! J'exagère, mais c'est presque ça... Voilà l'inconvénient majeur. Je ne pense pas que le regard des autres soit plus cruel ou plus dur que dans les métropoles, mais ce qui est sûr, c'est que les nouvelles vont vite et rumeurs ou ragots provoquent parfois des ravages, tout simplement parce que c'est un petit univers où tout le monde sait tout sur tout le monde... Ou presque.
Et ça m'intéressait justement d'aborder ce sujet : la vie dans une petite communauté avec ces rapports bien particuliers à la fois sécurisants, valorisants et étouffants.
Quant au crime, je pense qu'il a effectivement des liens avec l'environnement géographique, social, familial...

 

Avec « Jusqu'à ce que la mort nous unisse » on découvre encore un autre style de votre écriture : plus centrée sur les personnages, avec une intrigue plus posée et surtout une aventure au grand air. Est-ce le sujet de l'histoire qui vous a transporté ou une volonté de votre part de respirer un air plus frais après l'univers carcéral de « Meurtres en rédemption » et l'enfermement dans « Les Morsures de l'ombre » et ainsi montrer une autre de vos facettes?
Je crois que ce roman arrive au bon moment après Meurtres pour rédemption et les Morsures de l'ombre. Il rompt avec l'ambiance oppressante et la sensation de claustrophobie ressenties dans ces deux précédents romans.
Comme je l'écrivais précédemment, j'aime beaucoup changer d'un roman à l'autre. C'est important d'abord pour moi, pour conserver intact le plaisir d'écrire. Et je pense que c'est important pour le lecteur aussi. Après un roman comme Chiens de sang, rapide, court, nerveux, tendu, celui-ci est un polar plutôt qu'un thriller où le suspense et l'angoisse montent lentement, allant crescendo... Je prends le temps de construire pas à pas une intrigue, mais aussi de fouiller mes personnages.
Peut-être est-ce le décor du roman qui m'a inspiré ce rythme ?
Quant à l'écriture, elle évolue doucement, de titre en titre. Du moins je l'espère !
 
 
Vous vous êtes prêté à l'exercice de la nouvelle pour l'ouvrage collectif : L'empreinte sanglante. En quoi cette expérience d'écriture d'une nouvelle comme « J'aime votre peur » est-elle différente de l'écriture d'un roman?
J'ai accepté de participer à ce recueil, d'abord parce qu'il était intéressant de voir comment huit auteurs allaient inventer une intrigue en débutant par la même phrase. Mais aussi pour m'essayer à la nouvelle qui n'est pas mon exercice favori. J'ai du mal à me voir imposer des contraintes : nombre de pages ou phrase de départ. J'aime la liberté et notamment dans l'écriture qui est justement mon plus grand espace de liberté.
Construire une intrigue qui tienne la route dans le genre thriller et en 45 pages, c'était pour moi un défi. En général, même si j'ai dérogé à cette règle, je suis plus à l'aise dans des romans assez « épais ».
Alors, ça n'a pas été facile pour moi de me plier à ces « consignes ». Pas facile, mais au final très intéressant. Et j'espère avoir réussi à créer une atmosphère et un suspense qui sauront convaincre les lecteurs de L'empreinte Sanglante.
 
 
Vous êtes une des nouvelles têtes d'affiche du thriller au féminin. Pensez-vous qu'il y ait une réelle différence entre une plume féminine ou masculine? Parmi vos consœurs avec lesquelles pensez vous avoir le plus d'affinités ?
Je ne crois pas être une tête d'affiche. J'essaie de prendre ma place tout doucement, de construire, livre après livre.
A mon sens, il n'y a pas à différencier les auteurs masculins des auteurs féminins. Il y a des auteurs de noir, point. Avec leurs particularités, leur originalité, leur style, etc.
Bien sûr, il n'est pas interdit de penser que les femmes peuvent apporter quelque chose de différent au polar... Elles aborderont plus volontiers certains thèmes ou les traiteront différemment, elles montreront une sensibilité autre, créeront plus de personnages féminins et leur donneront peut-être une place plus importante... ? Possible, mais un auteur reste un auteur. Et je suis sûre qu'il y a nombre de romans dont on ne pourrait deviner, sans voir la couverture au préalable, s'ils ont été écrits par une femme ou un homme... (Mais, je vous l'accorde, il y en a certains où c'est plutôt facile de deviner... !)
Quant à la dernière partie de la question, j'estime que les lecteurs sont mieux placés que moi pour y répondre.
 
 
« Les morsures de l'ombre » sont en cours d'adaptation cinématographique? Pouvez-vous nous donner d'autres informations sur cette transposition sur grand écran? Allez-vous participer à l'écriture du scénario ou un droit de regard? Auriez-vous un casting rêvé?
Le scénario du film est désormais écrit. L'auteur n'a, en général, aucun droit de regard sur l'adaptation de ses romans, mais j'ai eu la chance que Jean-Pierre Limosin, le réalisateur et scénariste du futur film, me demande mon avis et me propose de participer un peu à cette écriture. Une expérience très enrichissante.
Le casting est en cours, mais je ne peux encore rien révéler à ce sujet sauf qu'il pourrait bien créer la surprise... !
Un casting rêvé ? Pas vraiment. Je fais confiance à Jean-Pierre... et je ne parviens pas à mettre pour le moment, des visages d'acteurs ou d'actrices sur mes personnages. C'est difficile lorsqu'on a inventé des personnages, de les imaginer incarnés à l'écran par un visage connu...
A noter également que Terminus Elicius devrait faire prochainement l'objet d'une adaptation soit à la télévision, soit au cinéma... A suivre !
 
 
L'écriture de scénarios pour la télévision ou le cinéma est-il quelque chose qui vous tenterait? Quels sont les réalisateurs que vous appréciez ?
Oui. D'ailleurs, avant d'écrire des romans, j'ai commencé par écrire des scénarii. Et j'espère qu'un jour, je reviendrai à cette première « tentation ». L'aventure du scénario des Morsures de l'ombre a réveillé en moi cette envie. Alors, il n'est pas impossible que je me lance dans l'aventure.

Parmi les réalisateurs que j'apprécie, je peux citer (toutes nationalités confondues) : Arthur Penn, Brian de Palma, Costa Gavras, Eric Zonca, Frédéric Schoendoerffer, José Giovanni...
 
 
Quel est votre livre de chevet actuellement, le dernier film que vous avez vu au cinéma, et l'album sur votre Mp3?
Je lis actuellement La première empreinte de Xavier-Marie Bonnot.
J'ai vu Un Prophète, de Jacques Audiard. .
En ce moment, un MP3 avec Death Magnetic, un autre avec des concertos pour piano de Rachmaninov.
 
 
Quels sont vos projets ? Y a t-il une sortie de poche de prévue pour « Meurtres en rédemption »?
Mes projets sont simples : continuer à écrire.
Oui, Meurtres pour rédemption va revenir après sa longue absence. Mais là aussi, il pourrait bien y avoir une petite surprise...
 
 
Allons nous vous rencontrer sur des salons prochainement? Avez-vous une anecdote de salon à nous raconter?
J'ai fait pas mal de salons depuis la rentrée (Cognac, Toulon, Lamballe, Les Terrasses du polar, etc.) mais là, il y a une pause jusqu'à la fin de l'année.
En 2010, je serai présente à Paris, et sans doute une journée à Lens (les deux salons tombent en même temps cette année). Mais aussi à Lyon, Besançon, ou encore (à confirmer) Mauves en Noir...
 
 
On vous voit peu sur le net (pas de site personnel ou de page facebook) est-ce en projet ou un choix de votre part? Que pensez-vous d'internet ?
Internet est un formidable outil de communication. C'est une véritable révolution dont on ne se rend plus trop compte aujourd'hui.
Je l'utilise, je l'apprécie, mais je ne souhaite pas avoir de site ou de blog et encore moins une page sur Facebook.
C'est un choix personnel.
Je ne souhaite pas m'exposer sur la toile. Il paraît que pour vivre heureux, il faut vivre caché... !
Pour moi, l'écriture demeure un travail solitaire qui se fait à l'abri du regard des autres. Et je n'ai pas envie de raconter au jour le jour ce que j'écris, où j'en suis de mon dernier chapitre, etc. Ce n'est pas dans ma nature de me livrer ainsi.
Et puis, je ne suis pas une adepte du culte de la personnalité ou de l'auto-promotion...

 

Nous vous laissons le mot de la fin.
J'attends avec impatience les impressions de lecture des Plumes ! Alors à très vite et merci pour votre enthousiasme, jamais démenti au fil des ans...


 Du même auteur: Biographie, chronique, interview

 

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