Antoine Maurel - Scénariste

 




 
Septembre 2009





Bonjour Antoine Maurel, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur « qui est Antoine Maurel» et quel est votre parcours ?


    Bonjour ! Je serais bien en peine de vous dire qui est Antoine Maurel, parce que je ne suis pas certain d'avoir assez d'une vie pour trouver la réponse. Un peu mélodramatique, comme formulation, mais malheureusement tellement vrai... Enfin, c'est aussi cette quête incessante qui enrichit mon parcours en permanence - à moins que ce ne soit l'inverse. En revanche, on peut parler de mon parcours (et, pourquoi pas, essayer d'y trouver des éléments de réponse à la première question). Je suis né en 1981 et j'ai suivi un parcours scolaire relativement classique, en me spécialisant dans les Lettres dès que le système scolaire me l'a permis. Plus tard, j'ai commencé à piger dans la presse (Comic Box, et d'autres), en parallèle de mes études. Lesquelles m'ont emmené sur les chemins du marketing. Toutes mes premières touches professionnelles m'ont amené à la BD, comme un fil rouge. Mais je ne pensais pas spécialement à devenir auteur. J'ai eu la chance de croiser des gens qui ont placé suffisamment de confiance en moi pour m'orienter dans cette voie. Ces rencontres et ces échanges se sont, dans un premier temps, concrétisés dans « Noirhomme », une BD en trois tomes (le 3e arrive bientôt), réalisée chez Casterman avec mes amis Hamo et BenBK. Puis il y a eu « L'Évangile selon Satan », mais nous allons y revenir. Depuis, je continue mes diverses activités professionnelles et j'essaie de ménager un maximum de temps pour progresser sur la voie du Scénario, même si ça n'est pas toujours simple...

 
L'évangile selon Satan du roman à la BD.


Comment a commencé l'aventure de « l'Evangile selon Satan » ?


    Par la signature d'un contrat entre les éditions Anne Carrière et Soleil, j'imagine. Blague à part, je n'ai rejoint le projet que plus tard, grâce à un ami, Fabrice Sapolsky, qui connaissait Mélanie Turpyn, l'éditrice de cette adaptation en B.D. Il nous a présenté. Elle m'a donné ma chance pour un galop d'essai, qui s'est avéré suffisamment concluant pour que je poursuive l'aventure. Nous avons ensuite eu la chance de tomber sur David (Cerqueira) via un ami commun, François Gomès. L'équipe de base était constituée, nous avons donc pu nous lancer !


Qu'est ce qui vous a donné envie de travailler sur cette adaptation ?

     Le moment où, en lisant le livre, je me suis dit que, parfois, j'aurais géré certaines choses différemment. De fait, à partir de ce moment-là, je me suis senti légitime. Et puis l'exercice de l'adaptation m'intéressait, parce que c'est beaucoup plus simple de travailler à partir d'un matériau existant. Le risque de s'y perdre est moindre, même s'il est toujours là... Je savais que tenter cette expérience allait me permettre de travailler le scénario d'un point de vue plus technique que dans « Noirhomme », par exemple. Parce que l'émotion originelle n'est pas la mienne. Je dois la ressentir, pour parvenir à écrire, mais je peux conserver plus de distance...


 

Aviez-vous lu le livre avant de vous lancer dans le projet ?

    Non. Et, pour tout vous dire, je ne suis a priori pas lecteur de « thrillers ésotériques ». N'y voyez aucune offense ou mépris de ma part - c'est simplement que j'aime à suivre certains courants dans la littérature (certains auteurs japonais, ou la littérature américaine post-années 50, pour ne citer qu'eux) et qu'ils sont déjà très denses. Mon temps n'étant pas infini, je passe forcément à propos de plein d'autres choses. Néanmoins, je ne vois pas cela comme un problème, au contraire. Je ne sais pas si être « fan » d'une œuvre avant de l'adapter est réellement un avantage. Là encore, si on évacue l'émotion, on peut aussi décortiquer la mécanique et la retravailler plus facilement. Ce qui, je crois, est le but d'une adaptation...



Comment passe-t-on du roman à la BD, quels sont les pièges ?

    Le piège principal est de vouloir trop en restituer. Patrick Graham avait une feuille blanche de la taille qu'il voulait. Lorsqu'il créé un personnage secondaire et qu'il veut nous donner tout son background en deux paragraphes, il peut le faire, ça ne pose pas de problèmes. Moi, j'avais, dès le départ, 46 planches par album. On ne m'a pas imposé un nombre d'albums précis, mais il a également fallu déterminer des césures qui auraient un sens, une force. Je me suis arrêté sur 3 tomes parce que je pense que cela permettra de conserver une certaine nervosité. Pour en revenir à ce que je disais, le plus dur est, finalement, de s'approprier suffisamment un récit qui n'est pas le sien, à fin de le gérer comme si on l'avait créé. Ca prend du temps. Il faut oser. Je pense que, à cet égard, la suite sera encore meilleure. J'ai trouvé mon rythme, grâce, notamment, aux retours et conseils des gens avec qui je travaille sur ce projet.
Ensuite, la grammaire narrative n'est évidemment pas la même. Si le romancier peut facilement se permettre de courtes digressions, par exemple, c'est absolument impossible pour moi. Chaque case compte, et la présence du dessin comme outil narratif principal oblige à conserver un maximum d'unité. Evidemment, c'est aussi une force. David et moi pouvons, en une case, en montrer autant que Patrick Graham en un paragraphe.



Est-ce plus facile ou plus difficile de travailler sur une adaptation que sur un récit inédit ?

    Vaste débat. En fait, je pense qu'il est sain d'alterner les deux. Encore une fois, adapter c'est rentrer dans la logique d'un autre scénariste (romancier, en l'occurrence, mais toute histoire procède d'un scénario), ce qui est à la fois intéressant et rafraîchissant. Mais tout ça procède également d'une grande part de ressenti, à la base. Et ça, j'aurai plus de mal à l'exprimer à travers une histoire qui n'est pas la mienne. Une adaptation force également à faire plus de choix. Parfois, je suis confronté à certains passages qui, de mon point de vue, sont davantage des éléments de background. Mais je comprends bien que ces derniers font partie du contrat de lecture qui lie Patrick Graham à son lectorat, et je ne souhaite pas briser ce pacte. Donc je m'arrange pour les intégrer. Par exemple, en lisant votre critique de « L'Évangile selon Satan », je vois bien que vous avez été marquée par l'approche théologique. Moi, cela m'intéresse, mais je suis encore plus fasciné par la déchéance relative du personnage de Marie - dimension que Patrick Graham a très bien exploré dans « L'Apocalypse selon Marie ». Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais fait autrement. Vous me direz que je suis totalement contradictoire avec ma réponse à la question précédente, et vous n'aurez sans doute pas tort. Mais c'est cette tension entre savoir s'approprier le récit et savoir se mettre en retrait qui constitue la principale difficulté. En revanche, il est infiniment plus facile de se perdre dans ses propres histoires, mais on y jouit d'une liberté absolue. Donc, je ne crois pas que l'un ou l'autre soit plus facile, ou plus difficile. Les pièges ne sont pas les mêmes, c'est tout.


Comment fonctionne votre duo scénariste/dessinateur ?

    Fort bien, ma foi ! David me fait confiance et il est assez rare qu'il me demande des retouches sur mon découpage ou mes dialogues. Il arrive évidemment qu'il change de menus détails car, n'étant pas dessinateur, il peut m'arriver de ne pas m'apesantir sur des choses qui vont lui poser problème à la réalisation. Dans ces cas-là, généralement, il m'appelle pour me proposer sa solution et je la valide sans la moindre hésitation. De même qu'il m'a fallu trouver mon espace personnel au sein du livre de Patrick Graham, je pense qu'il est important de laisser de la latitude aux dessinateurs avec lesquels on travail. Ce n'est pas un simple boulot d'exécutant, très loin de là ! Je pense que, une fois qu'on a compris cela, les choses vont d'elles-mêmes. Et puis, évidemment, on s'appelle beaucoup, on se parle. Ca aide à renforcer la cohésion du duo ! 



Peut-on garder toute sa santé mentale lorsque l'on scénarise les actes de Caleb ?

    Posez la question à Patrick Graham ! Ou à David ! Moi, lorsque j'écris, en suivant benoîtement les précisions du roman, quelque chose du style de « Il lui sectionne les tendons », ce ne sont que des mots. Pour dessiner cela, David doit se poser la question de la réalité graphique de la chose. Autant vous dire que je ne l'envie pas toujours... Encore ne parlons-nous là que de forme. Sur le fond, ça ne me pose aucun problème.  Un scénariste doit, je crois, aimer sincèrement ses personnages pour les écrire. Ou, au minimum, ne pas les juger. Ici, dans le cas de Caleb, il est à cheval entre le personnage et le concept. Donc je n'ai pas réellement besoin de l'aimer. En revanche, je n'ai pas à le juger. Il a un but, une mission, et il fait ce qu'il faut pour y parvenir (avec un succès relatif, d'ailleurs, mais là n'est pas la question). Quand à ses méthodes, si l'on y réfléchit, elles sont parfaitement cohérentes avec ses origines. Les actes de Caleb sont répugnants, mais il serait un peu trop facile de les mettre tous sur le dos de ses origines infernales. La torture et les massacres les plus primaires font encore partie du quotidien de la planète. Caleb est certes un peu « rustre ». Mais, au moins, ses méthodes sont parfaitement cohérentes avec ce qu'il représente. Contrairement à certains interrogateurs de certaines agences de renseignement, ou aux armées de certains pays dits civilisés. Encore que, là aussi, si on se penche un peu sur le sujet, il est malheureusement difficile de rester manichéen bien longtemps... Moi, en tant que scénariste, ce qui m'intéresse, ce ne sont pas ses méthodes, c'est pourquoi il en est arrivé à les appliquer. N'oublions jamais que les pires ordures de l'histoire de l'humanité venaient tous de quelque part, et que la plupart étaient probablement sincèrement convaincus du bien-fondé de leurs actions. Ou, en tout cas, qu'ils agissaient selon une logique assez implacable. Les gens sont prompts à juger les autres. Personnellement, je crois que Caleb est juste un bon soldat très dévoué, pour revenir à la question initiale.



Quelle a été la réaction de Patrick Graham (auteur du livre) en découvrant votre adaptation ?
   
    La vérité est que, même si l'idée a été maintes fois évoquée, nous n'avons pas encore trouvé le temps de nous croiser pour en parler de visu, mais on peut espérer que ça va changer. En revanche, nous avons été en contact par mail. Il n'a cessé de soutenir notre démarche, de nous approuver sans jamais s'immiscer dans notre travail. Ce qui ne doit pas être simple, étant donné que « L'Evangile selon Satan » est son premier roman, son bébé. Mais ses encouragements, tôt dans le projet, m'ont véritablement libéré d'un poids, d'une angoisse de déplaire. Je ne saurais trop l'en remercier...



Quels sont vos projets ?

    Ils sont multiples. En bande dessinée, j'ai - pêle-mêle - dans mes cartons des choses aussi diverses qu'une biographie réaliste (j'insiste sur ce point) de Richard Coeur-de-Lion, les aventures urbaines de deux animaux cartoony exerçant le métier d'enquêteurs dans un univers glauque et dépressif. J'ai toujours une ou deux histoires utilisant le poker comme métaphore de la vie, et comme fil rouge d'un scénario, parce que je crois qu'on fait difficilement plus impactant et plus riche. Certains sont des projets personnels qui attendent de trouver un dessinateur, d'autres de vagues envies. Certains encore des projets nés de rencontres avec des dessinateurs qui avaient déjà un univers au sein duquel je suis intervenu. Enfin, sans en dire trop parce que je ne sais pas à quel stade en sont les choses, je pense ne pas en avoir fini avec l'oeuvre de Patrick Graham... Mais, en ce moment, je mets surtout les bouchées doubles en direction de l'audiovisuel. Cela dit, tout ça n'est que projets, en l'état, donc ça ne sert pas à grand chose d'en parler prématurément... A ce compte-là, je peux aussi bien vous révéler que j'espère arriver à publier (au moins) un roman avant de mourir. J'ai l'impression que ce serait une jolie manière de boucler la boucle...



Merci beaucoup,  Antoine Maurel, nous vous laissons le mot de la fin.

    Merci à vous, et à tous ceux qui auront eu la patience de lire jusqu'à ces lignes. Vous aurez compris que je ne suis pas homme à me contenter d'un seul mot, alors je terminerai sur cette citation de Pierre Dac, qui me semble essentielle : « Tout est dans tout, et réciproquement ». C'est plus facile à lire qu'à assimiler, mais, lorsque c'est le cas, je crois qu'on a fait un grand pas...


Chronique de L'Évangile selon Satan
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Interviews :
Merci à Sybil pour sa participation.


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