Thierry Serfaty - Agônia







Juillet 2008

 




Thierry Serfaty, pouvez-vous nous présenter votre nouveau roman Agônia ? Comment est né Agônia ?
Agônia débute le lendemain d'une enquête menée à bout de souffle par notre couple d'enquêteurs, Erick et Laura, et Marina. le meurtrier est neutralisé, ils ont droit au repos du guerrier... Court, le repos : en quelques heures, le cauchemar reprend. La mort apparaît sur les écrans de la police selon le même mode opératoire alors que le meurtrier est neutralisé, il faut lutter contre un adolescent violent et vengeur, et, cerise sur le gâteau, leur petite Léa se retrouve dans la gueule du loup ! Il faut aller vite et frapper fort, et bien sûr, quand on fouille dan la folie des autres, on finit par remuer la vase qui est au fond de soi, déterrer ce qu'on a enfoui avec beaucoup de soin...
Avec Peur, je voulais envisager le monde des émotions en commençant par celle qui nous sauve mais qui peut aussi nous détruire : la peur. Agônia va plus loin : nos héros explorent la quête absurde et terrifiante de la maîtrise de toutes nos émotions et donc de l'identité de chaque être humain. Si toutes nos émotions sont anéanties, que reste-t-il de chacun de nous ? qu'est-ce qui nous différenciera ?
Agônia joue aussi d'un mécanisme qui me fascine et m'effraie à la fois : l'apparence trompeuse, le faux-semblant. C'est souvent le propre du thriller, mais là, c'est à son paroxysme : je voulais démarrer sur la fin d'une enquête et le calme apparent... un calme qui annonce la tempête. Nos enquêteurs pensent qu'ils ont droit au repos et qu'ils peuvent refermer un dossier sinistre ; il n'en est rien. On croit que tout est fini, réglé, et la mort revient, avec la marque du tueur qu'on croyait neutralisé.

Dans Agônia, les dialogues sont très travaillés, relevés avec une pointe d'humour. Les vies  de vos personnages sont mises plus en lumière. Le style et le rythme de l'histoire changent par rapport à La nuit interdite et Peur. Est-ce une volonté de votre part de faire, de ce roman du milieu du cycle, une transition?
Il y a deux questions très différentes dans votre question, Stéphane. Je vais donc y répondre séparément.

1° Les personnages et les dialogues, d'abord.
Dans un roman, on croit toujours que l'auteur se projette sans le vouloir dans les thèmes qu'il développe, alors que le a forme est maîtrisée. Pour moi, c'est le contraire : ce sont le  fond (les thèmes développés, l'intrigue...) et la structure qui sont réfléchis, alors que le style et les personnages sont souvent le reflet de ce qui se passe dans ma propre vie - de manière inconsciente, bien sûr. Mes dialogues et l'exploration de l'humain (donc des personnages) vont changer selon mon état d'esprit et mon regard sur l'autre, forcément.
Cela dit, indépendamment de ce qui se passe en moi, il est vrai que Erick, Laura, Marina, la petite Léa et ses parents reviennent dans mes thrillers pour la troisième fois. Ils font un peu partie de ma famille, maintenant, et j'aimerais que ce soit un peu votre famille aussi - je suis partageur ! Et puis vous les faites vivre par votre lecture, il est normal que vous les découvriez sous un autre angle. Du coup, on rentre forcément un peu plus dans leur intimité. Il faut dénouer des nœuds, lever des voiles, comprendre leur passé pour expliquer leur présent, bref, il faut les connaître avec tout ce qu'ils sont !
Enfin, les dialogues sont pour moi un élément capital de l'écriture. Ils sont indissociables des personnages car les personnages sont pour moi des êtres VIVANTS, de chair et de sang. Je les travaille longtemps, je connais tout de leur naissance à leur mort, même si je ne révèle pas tout d'eux dans les romans. Ils ont  un passé, des fêlures, ils ont traversé des épreuves ou au contraire sont nés avec une cuiller d'argent en bouche (bon, ça, c'est bien rare dans mes thrillers...) et tout ceci transparaît dans leur façon de réagir et de PARLER. Les dialogues sont le miroir des personnages au même titre qu'un geste ou qu'une réaction. Pour moi, ces personnages sont si vivants, si autonomes que parfois je suis moi-même dépassé : la réplique fuse avant que je n'aie le temps de la penser !
Et eux comme moi avons besoin d'humour pour traverser les épreuves ; c'est une règle de ma propre vie que j'applique à mes personnages. J'ai toujours eu cette devise : il y aura toujours des occasions où les larmes prendront le dessus, alors je ris de tout le reste, même quand le chagrin n'est pas loin. C'est sans doute ma manière de voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, et de tenir le coup. Erick, Laura et les autres fonctionnent selon le même principe.

2° Le rythme du livre, maintenant.
Agônia fonctionne plus sur le suspense, les rebondissements qui s'enchaînent. À peine un problème est-il réglé que d'autres tombent sur nos héros, qui doivent se battre sur plusieurs fronts... Cette fois, oui, c'est tout à fait volontaire, c'est un vrai parti pris : je n'ai pas voulu jouer sur les révélations stupéfiantes, de nouvelles morts très spectaculaires ou de nouvelles manipulations scientifiques, mais plutôt sur une course contre la montre et un rythme oppressant. J'ai voulu que la science soit moins expliquée et plus « vécue », la mettre en situation, la noyer dans le thriller, et j'ai voulu que mes protagonistes courent, et les lecteurs aussi. Bref, j'ai privilégié le suspense et la tension par rapport aux révélations.
... Mais finalement, n'est-ce pas une bonne chose que mes thrillers ne se ressemblent pas ? On y retrouve mes personnages et ma « patte », je crois, mais ils ont chacun leur identité ; je n'ai pas envie qu'on dise de moi ce qu'on dit de plus en plus d'auteurs de thrillers : quand on en a lu un, on a lu tous les autres !


Pouvez vous nous en dire plus sur les deux prochains romans qui devraient clôturer le cycle de la pyramide mentale ?
Le prochain s'aventurera sur les rivages de la douleur, la souffrance physique ET psychique. Je renouerai encore plus avec le faux-semblant, la manipulation, l'apparence trompeuse, un peu à la façon du Sang des sirènes, pour ceux qui l'ont lu, mais sur un mode plus suspense, plus angoissant. Ça ne se passera pas en France : Erick et Laura seront loin de Paris, dans une ville gigantesque et fascinante qui peut se transformer en monstre cannibale quand on tombe sur la mauvaise personne, au mauvais endroit, au mauvais moment... J'en dirai plus un peu plus tard, si vous le voulez bien.
Quant au dernier opus, vous serez précipité dans l'univers du désir, qu'il soit inconscient (la pulsion) ou pas, pour refermer la Pyramide mentale et l'exploration de la personnalité humaine.

Avez - vous déjà d'autres projets une fois ce cycle achevé ?
Oui, j'ai toujours beaucoup d'idées que je jette sur une feuille et que je glisse dans un classeur intitulé « Projets », mais avec le temps, certains en ressortent, d'autres voient le jour. Du thriller, bien sûr, parce que j'aime terriblement ça, et peut-être autre chose, que je garderai peut-être pour moi, juste pour le plaisir, comme une respiration... ou pas. Là encore, j'ai besoin d'affirmer les choses pour vous en parler, mais je le ferai avec plaisir avant la fin de l'année, c'est promis !

Vos collègues du milieu médical portent quel regard sur vos romans ainsi que vos patients ?
Pour mes confrères, au début, ce fut de l'étonnement, puis certains sont passés par la méfiance ou la jalousie,  et la plupart finissent par me dire qu'ils envient cette liberté qui est la mienne. Pour ma part, j'en suis conscient chaque jour, quand j'ouvre les yeux, jusqu'au moment où je les referme. Quant à mes patients, ils ont certainement dû se dire qu'ils l'ont échappé belle lorsqu'ils sont sortis vivants de ma consultation ! Vous vous imaginez dans la salle d'attente d'un détraqué qui imagine d'aussi terribles choses ? Je ne peux pas leur jeter la pierre... Plus sérieusement, je crois qu'ils n'ont jamais douté de mon attachement et de mon engagement, et beaucoup me le rendent encore aujourd'hui par des attentions de toutes sortes, et j'en suis infiniment heureux. Ils resteront la plus belle expérience humaine de ma vie.


Tes cinq premiers romans traitent du milieu médical. Une fois le cycle de la pyramide mentale achevé penses tu te tourner vers un autre style ?
J'ai beaucoup de projets qui ont tous un rapport avec le corps et l'esprit et ce qui les lie, plus qu'avec la médecine. Lesquels retiendrai-je ? Je ne le sais pas encore, c'est tellement dépendant de circonstances, de rencontres, d'époque, de sentiments... Ce qui est certain, c'est que les thrillers me permettent de pratiquer une autre médecine, d'explorer des territoires fascinants et qui me sont inconnus, et je ne suis pas encore rassasié. Mais je ne m'interdis rien : j'ai d'ailleurs dans quelques tiroirs de mon petit cerveau des projets parallèles que je nourris depuis des années. Je me connais : ils vont finir par frapper à la porte et il faudra bien que j'ouvre dans un futur proche...
Où en sont les projets d'adaptation de vos romans ?
Le Sang des sirènes est plus que jamais en cours d'adaptation. Les producteurs sont pour l'instant discrets, ils sont en pleine écriture et  préfèrent nous revoir avec un projet plus abouti et je le respecte. Là encore, vous serez au courant via mon site ou sur le vôtre, bien sûr !

Quels sont vos coups de cœur actuellement ?
Mon coup de cœur du moment est loin du thriller, il intéresse  un auteur, sa voie, son œuvre, ses excès : Sagan. Je suis tombé sur l'excellente biographie de Marie-Dominique Lelièvre, qui m'a fait découvrir celle que Mauriac nommait « le charmant petit monstre », et depuis, je dévore son œuvre. Je crois que le personnage incroyable de Françoise Sagan, sa liberté, ses dérapages, ses passions, me fascinent encore plus que sa production littéraire... Le film, en revanche, je ne sais pas si j'irai le voir ; comme toujours après la lecture d'un livre, j'ai peur d'être déçu.

Vous avez le mot de la fin :
Le mot de la fin ? Mais celui qui sera le même jusqu'au bout, qui m'accompagnera comme une devise : qu'il n'y ait jamais de fin avant la mort.

 

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