Larsson Stieg

 







Je dois d'abord vous faire un aveu : je suis une « acheteuse compulsive ». Oui c'est pas bien, je sais. Mais bon quand je craque, c'est Sega, c'est plus fort que moi, enfin bref .... C'était aux Quais du Polar, en mars 2007. Il y avait un libraire (dont j'ai malheureusement perdu le marque ta page, et que je regrette de ne pas pouvoir citer comme il le mérite), qui tenait un stand plein de romans « inconnus », avec des drôles de petits cartons où étaient inscrites des impressions sur chaque roman. Un libraire passionné, bavard, enthousiaste, qui est venu vers moi alors que je retournais un gros bouquin à la jolie mais étrange couverture rappelant furieusement la Famille Adams, avec un drôle de titre à rallonge : Les Hommes qui n'aimaient pas les Femmes. Il m'a juste dit : « Si vous prenez ce livre, sachez que c'est le premier tome d'une trilogie qui s'appelle Millenium (soit dit en passant : rien à voir avec la série télé du même nom), que c'est suédois et que c'est une des meilleurs romans que j'ai lu ces dernières années. » Ah bon, d'accord. Sauf que moi, je suis pas très branchée « polar nordique » et je lui dit, au monsieur-libraire-passionné (avec un grand sourire quand même parce qu'il est vraiment adorable). Ce à quoi il répond : « si vous faites le pari d'acheter celui-là, je vous garantis que vous vous jetterez sur la suite et on se retrouve l'an prochain pour en reparler. ». Ah. Très bien. C'est comme ça. Monsieur me lance un défi. Il n'a pas dit le mot interdit (« chiche ») mais c'est tout comme. Bon et bien je lui prends, son bouquin suédois premier tome d'une trilogie même pas finie (à l'époque, le troisième tome n'était pas sorti) et on va voir ce qu'on va voir. Et puis, quand même, elle est intrigante cette couverture, et l'histoire a l'air pas mal du tout.

C'est comme ca que l'acheteuse-compulsive que je suis est tombée par hasard sur la trilogie Millenium, de Stieg Larsson.
 
Journaliste et écrivain suédois, Stieg Larsson était connu pour ses engagements antifascistes et antiracistes. Il a mené une double carrière, publiant d'une part des fanzines de science-fiction, président en 1980 d'une des plus grosses associations de science-fiction de la Scandinavie ; rédacteur en chef, ensuite, du magazine Expo, revue « observatoire » des extrémismes de droite. En 2004, il remet à son éditeur les trois tomes de Millenium, avant de décéder brutalement d'une crise cardiaque à l'âge de 50 ans. Les trois volumes ont des titres un peu déroutants (Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, Le fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette, La reine dans le palais des courants d'air)...et en Suède, c'est le carton : plus d'un million d'exemplaires vendus !

Pourtant c'est assez discrètement que le premier volume débarque en France. Mais le bouche à oreilles fonctionne, et les « Millenium-addicts » attendaient avec fébrilité la sortie du 3e tome. Dont moi .... Et oui, encore une addiction tiens...Chose faite, il est sorti il y a quelques jours, et je me suis jetée dessus. Parce que Millenium, passez-moi l'expression, mais c'est de la bombe !!

Le premier tome s'appelle donc Les Hommes qui n'aimaient pas les Femmes. Première rencontre avec Mikael Blomkvist, surnommé « Super Blomkvist » dans le milieu journalistique. Avec son associée (et maîtresse « occasionnelle » depuis 20 ans) Erika Berger, il dirige la revue Millénium, mensuel d'investigation économique et politique. Journal « sérieux » donc, sauf que là, Super Blomkvist a un peu patiné dans la semoule avec son enquête sur le magnat de la finance Wennerström : il se retrouve en prison pour quelques mois pour cause de diffamation, ses sources s'étant révélées moins fiables que prévu. A sa sortie, Henrik Vanger, ancien ami de son père, l'engage afin de faire la lumière sur la disparition, 40 ans auparavant, de sa petite-nièce Harriet, 16 ans à l'époque. Disparition d'autant plus mystérieuse qu'elle s'est produite sur une île habitée quasiment uniquement par les membres de la famille Vanger. Disparition d'autant plus déroutante que Henrik reçoit chaque année depuis 40 ans une fleur sous verre pour son anniversaire, cadeau offert en son temps par Harriet. La jeune fille est est-elle réellement morte, ou bien son assassin s'amuse aux dépends du vieil homme ? C'est ce que Mikael doit découvrir.

Première rencontre, aussi, avec Lisbeth Salander . 24 ans, un physique de poids plume, tatouée, piercée, hacker de génie, fouineuse, intelligence et mémoire phénoménales. Pourtant Lisbeth est sous tutelle et a passé, semble-t-il, plusieurs années en hôpital psychiatrique. Une mère qui ne la reconnaît plus (on soupçonne Alzheimer) pour seule famille, un tuteur qui l'aime bien mais doit passer la main car victime d'une attaque, un patron qui l'aime bien aussi mais qui ne sait comment gagner sa confiance. Lisbeth Salander est asociale et n'a confiance en personne. Chargée par son patron d'effectuer une enquête sur Mikael pour le compte de l'avocat de Vanger (elle travaille pour une société de sécurité privée), elle finit par travailler avec Mikael lui-même qui lui demande de faire des recherches sur la famille Vanger.
Tout deux découvriront une vérité encore plus horrible que ce qu'ils avaient pu imaginer, et la chasse au passé devient une lutte pour leur survie au milieu de cette île peuplée par la « famille Adams ».

Stieg Larsson propose un polar passionnant qui se déroule quasiment en huis clos, mais pas seulement. Au-delà de çà, il pose ses personnages et construit le monde de Millénium. Mikael et Lisbeth évoluent chacun de leurs coté pendant le premier tiers du livre et ne se rencontrent qu'après la page 300 environ. Et pourtant, ces 300 pages d'exposition n'ont absolument rien d'ennuyeux, elles sont au contraire essentielles à la trilogie. On découvre petit à petit les personnages principaux et secondaires, et notamment Lisbeth qui s'esquisse petit à petit avec ses mystères et ses réactions souvent violentes. Faut pas lui casser les pieds, à Lisbeth, sinon la réponse est impitoyable. Son deuxième tuteur, l'affreux Nils Bjurman, en fera les frais. Bien fait pour lui ! Car il est des hommes qui n'aiment pas les femmes, et Lisbeth est « la fille qui n'aime pas les hommes qui n'aimaient pas les femmes »
Le style est dense, très bien écrit, avec des touches d'humour subtiles. Des intrigues multiples naissent petit à petit, mais tout est cohérent et fini par trouver une forme de conclusion qui laisse augurer d'une suite tout aussi intéressante. Larsson démarre là une des séries les plus passionnantes de ces 10 dernières années.

 

La suite, donc, attendue pour ma part avec intérêt car j'avais vraiment accroché autant aux personnages (Mikael, Lisbeth, Erika, Holger, Dragan etc, mais avec un coup de cœur particulier pour Lisbeth) qu'au style et à l'intrigue.
Il est difficile de parler des deux tomes suivants séparément car parler du troisième démolirait complètement le suspense du second (et y'en a, du suspense croyez-moi !). Donc on va prendre La Fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette & La Reine dans le Palais des courants d'air comme une seule et même histoire qui se développe sur 2 romans. D'ailleurs, La Reine... commence très exactement là où se termine La Fille ... et en est la continuité parfaite.

Mais revenons au début. Presque 2 ans après la fin du premier tome. Lisbeth, milliardaire grâce à ses talents de hackeuse, coule des jours paisibles à l'autre bout du monde et s'est même fait un ou deux amis (si tant est qu'elle puisse avoir une véritable relation avec quelqu'un). Elle a bien l'intention de ne plus jamais revoir « Foutu Super Blomkvist », mais se retrouve obligée de revenir en Suède. Pas grave, elle saura bien l'éviter et se fondre dans l'anonymat.
Mikael, de son coté, a retrouvé avec joie Millenium, et se prépare à publier l'enquête de deux journalistes, Dag Svensson et Mia Bergman , portant sur les réseaux de prostitutions des filles venues de l'Est. Il faut savoir que la prostitution est légale en Suède, mais pas « l'importation d'esclaves sexuelles à peine majeures ». Et que l'enquête de Dag et Mia met en cause des personnalités suédoises, dont un membre de la Säpo (petit nom affectueux pour la police de sûreté, équivalent grosso modo de nos RG) et des magistrats. Et bien sur, ils dénoncent la pègre avec, en tête, un mystérieux Zala qui semble être le leader d'un réseaux de trafic de femmes et autres activités plus ou moins légales (et plutôt très moins que plus)
Mais voilà, Dag et Mia sont sauvagement assassinés, ainsi que, étrangement, le « porc sadique » alias maître Bjurman, le tuteur légal de Lisbeth. La même Lisbeth qui vient d'échapper à une agression visiblement organisée, sous les yeux de Mikael Blomkvist un soir dans une rue sombre. La même Lisbeth qui se retrouve brutalement Ennemie Publique n° 1, recherchée par la police, la Säpo et une bande de tueurs membres d'un club de bikers.
 Seul Mikael et quelques fidèles (Holger Palmgren son ancien tuteur, Dragan Armanskij son ancien patron, son amie Miriam ...) croient en son innocence, mais doivent faire face à une étrange kabbale contre Lisbeth, montée par un groupe de gens pas très recommandables ou au contraire représentants de l'Etat, avec en-tête le psychiatre qui l'a faite interner à l'age de 12 ans.
La « chasse à Salander, la tueuse psychopathe lesbienne sataniste » se transforme peu en guerre, tandis que Mikael et le « camp des gentils » mettent le doigt sur une machination remontant au plus secret des services secrets. Qui a intérêt à rayer Libeth Salander de la société ? Que s'est-il passé en 1991, quand elle avait 12 ans et que Tout le Mal a détruit sa vie ? Qui est ce fameux Zala et quels sont ses liens avec Lisbeth ? Autant de questions qui tiennent le lecteur en haleine pendant plus de 1300 pages et trouvent des réponses parfois détonantes. La guerre larvée autour de Lisbeth Salander fera des victimes, et peut-être même à commencer par elle...

Le premier tome avait laissé une bonne impression, celle-ci ce confirme et va en s'amplifiant dès les premiers chapitres de « La Fille qui rêvait... » . La trilogie Millenium est tout simplement ENORME !!

D'une part, le suspense est à son comble, un suspense terriblement efficace qui tient en haleine page après page, qui fait que la lecture de ces deux romans cloître le lecteur, le coupe du monde extérieur tant l'envie de savoir, de comprendre est forte. Je fais le pari que quand vous aurez ouvert La Fille..., vous serez à la limite de cesser de boire, manger, vivre jusqu'à être arrivé à la dernière page de La Reine... . Parce que c'est l'effet Millenium : une fois commencé, impossible de s'en détacher. C'est diaboliquement construit, le cliffhanger qui clôture le deuxième tome est tout simplement insoutenable et pour ma part, j'ai littéralement hurlé : Inadmissible de devoir attendre un mois la sortie de troisième volume !!! Ca devrait être puni par la loi de laisser une lectrice dans cet état là !!
Soit heureux, lecteur qui s'apprête à découvrir Millenium, que les trois tomes soient disponibles maintenant. Parce que moi j'ai souffert en attendant la sortie de La Reine dans le palais des courants d'air ....

D'autre part, les personnages. Ralala, ces personnages !!! En tout, plus d'une cinquantaine de protagonistes tout au long des 1950 pages de la trilogie, allant du type qui passe la serpillière dans un hôpital jusqu'au Premier Ministre suédois himself. Outre les deux « héros », Mikael et Lisbeth, on croise en vrac : un ex-champion de boxe, la Fille de TV4, des journalistes plus ou moins déontologiques, des flics véreux, des flics honnêtes, des médecins hypocrites, d'autres fidèles à Hippocrate, des agents des services secrets, des agents encore plus secrets, des anciens nazis, des ex-espions russes, un allemand qui n'a rien d'humain, des chanteuses de hard-rock etc etc etc ... Tous ont une épaisseur extraordinaire, sont là et bien là, extrêmement réalistes et tous importants à leur niveau. Car oui, chez Larsson, même le mec de l'entretien des couloirs d'hôpital a un passé, une histoire que Stieg Larsson prend le temps (quelques paragraphes souvent) de nous raconter, et une importance dans l'intrigue. Et pour exemple, je citerais Annika, la sœur de Super Blomkvist, avocate quasi insignifiante dans toute la série, qui explose, magistrale, sublime, dans les 100 dernières pages du troisième tome, pour une scène de tribunal d'anthologie.

Mais la palme revient sans conteste à Lisbeth Salander. Un des personnages féminins les plus forts que j'ai eu l'occasion de découvrir depuis longtemps. Esquissée dans le premier tome, comme un puzzle qui s'assemble petit à petit, Lisbeth est donc « la fille qui n'aime pas les hommes qui n'aimaient pas les femmes". Car le thème récurrent de la trilogie, le fil rouge en quelque sorte, c'est la violence faite aux femmes. Et elles sont nombreuses à souffrir de diverses manières dans toute la trilogie. Harriet Vanger, Erika Berger, Lisbeth Salander, Miriam Wu, Agneta Salander, et d'autres encore, toutes ont eu a subir diverses agressions de la part des hommes, sexuelles, violentes, verbales, psychologiques. Mais elles sont fortes chacune à leur manière et se révoltent, Lisbeth en tête. Lisbeth est incapable de relations humaines « normales », mais vole quand même au secours d'Erika quand celle-ci est harcelée de mails par un maniaque, par exemple ; ou, plus flagrant peut-être, le début de La Fille... quand elle partage son hôtel avec un couple dont l'homme frappe sa femme et sa réaction très Salenderienne ....

Enfin, encore une chose que j'ai aimé dans toute la trilogie : en bon journaliste « penseur » qu'il était, Stieg Larsson ne peut s'empêcher de dénoncer. Et il tire tous azimuts : les journalistes, les politiques, la police, les hommes d'affaires (qui font fabriquer des lunettes de WC par des enfants thaïlandais), tout le monde en prend pour son grade ! Il dénonce les maux de la société suédoise (et de la notre aussi), et Millenium devient de ce fait, aussi, le triste constat d'une société sur la mauvaise, très mauvaise pente.

D'une richesse et d'une densité incroyable, Millenium est vraiment, vraiment une œuvre à lire de toute urgence. Elle rentre dans le cercle très restreint des livres que je relirais régulièrement juste pour le plaisir. Et si j'ai un vœu à faire, c'est que le très-gentil-libraire soit aux Quais du Polar en 2008. Il aura gagné son pari, haut la main ....


*Les hommes qui n'aimaient pas les femmes: Juin 2006
*La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette: Novembre 2006
*La Reine dans le palais des courants d'air: Septembre 2007
Editions Actes Sud



Go to top