Saïdeh Pakravan

Saïdeh Pakravan



  Mars 2015

 

 

 

Saïdeh Pakravan

 

 

 

Bonjour Saïdeh Pakravan, commençons par le rituel de la première interview sur Plume Libre. Pouvez-vous vous présenter ?
    Je suis franco-américaine, auteur de fiction, poésie, essais, et blogueuse, écrivant également en français et en anglais. Je suis née en Iran dans une famille francophone, d’un père diplomate et haut fonctionnaire du régime et d’une mère dans l’administration. Ma famille était férue de littérature et d’histoire, j’ai appris à lire très tôt et été publiée, très tôt également, dans Le Babillard, petite gazette de l’école Jeanne d’Arc de Téhéran que je fréquentais enfant. J’étais très mécontente quand ma grand-mère, elle-même écrivain de langue française (prix Rivarol 1951) prenait sur elle de réviser mes petites contributions. Je voulais faire mon chemin toute seule. Je m’attarde sur cette réponse pour bien expliquer qu’à l’âge de six ans, riche de mes lectures des albums de Babar puis des livres de la Comtesse de Ségur avant d’aborder des auteurs plus sérieux, j’avais déjà décidé que je serais écrivain ou je ne serais pas. A ce jour, je n’ai pas démordu de cette voie bien que la vie ait souvent tenté de m’en écarter.


Saïdeh Pakravan - AzadiVotre roman Azadi est sorti en janvier chez Belfond, pouvez-vous nous en parler ?
    J’ai écrit Azadi à la suite des événements de 2009 en Iran, quand la population a protesté en masse contre le fait que les élections présidentielles avaient été truquées pour donner un deuxième mandat à Ahmadinéjad. Téhéran et d’autres villes ont connu de grands désordres, toujours non-violents de la part des manifestants mais réprimés avec une brutalité inattendue par les autorités. Au bout de quelques semaines, le nombre de victimes allant grandissant, les gens ont compris et sont rentrés chez eux.


Pourriez-vous nous parler de votre héroïne, Raha ? Comment est-elle née dans votre imagination ?
    Je ne peux jamais expliquer d’où viennent les personnages que je décris. Raha, l’héroïne de mon roman, est une jeune femme contemporaine, typique de cette jeunesse iranienne appartenant à des familles aisées, éduquée, tournée vers l’Occident et tout à fait laïque. Ils vivent leur vie comme tous les jeunes de leur âge, réseaux sociaux, dernières productions hollywoodiennes, shopping dans les centres commerciaux, alcool etc. Ils ne se préoccupent pas de la théocratie qui règne sur le pays, faisant toutefois attention de ne pas trop attirer les foudres des sbires du régime imposant normes vestimentaires ou autres.
Quand les manifestations commencent en été 2009, Raha, comme ses copains, descend dans la rue pour poser la question qu’ils posent tous, “Où est mon vote?” Elle en pâtira, subissant une épreuve des plus rudes, mais au lieu de se soumettre, elle assume ses droits jusqu’au bout, réclamant justice dans un pays où les femmes comptent pour peu de chose. Cela dit, elles ne se laissent pas faire, comme je l’explique dans ma réponse à votre question plus bas.


Vous êtes-vous inspirée de personnes réelles et/ou de votre propre expérience pour écrire votre livre. Je pense notamment à Gita qui, du fait, qu’elle soit expatriée aux Etats-Unis nous a fait penser à vous.
    Je m’inspire rarement, et même jamais, de personnages réels. Ceux que je décris s’imposent à moi et je découvre leur destin, devenant en quelque sorte leur porte-parole. Gita n’est pas moi ni n’est calquée sur quelqu’un que je connaisse, si même, comme les autres, elle en a parfois des traits de caractère ou des réflexions ou des souvenirs. Nous ne créons pas dans le vide, nous amenons notre vécu.


Le procès décrit dans votre roman pourrait-il avoir lieu aujourd’hui en Iran ?
    Je ne pense pas. C’est l’avantage d’écrire de la fiction, on peut rendre le monde un peu plus conforme à ce que nous souhaiterions.


Les femmes ont une place importante dans Azadi. On les découvre instruites, cultivées, exerçant des professions de haut niveau et en même temps totalement sous le joug du pouvoir pour un certain nombre de libertés (tenues vestimentaires, comportement en public, etc…) Quelle est leur situation aujourd’hui en Iran ?
    Les femmes iraniennes sont des lionnes, menant la société, ne se laissant pas écraser, devenant chirurgien, sénateur, conductrice de bus ou metteur en scène sans se laisser démonter par le fait que les mollahs préféreraient les voir cachées chez elles. Même dans leur façon de soi-disant respecter les règles vestimentaires, elles n’arrêtent pas de faire des pieds de nez. Tout le monde peut voir sur les réseaux sociaux ou dans les films iraniens à quel point les jeunes femmes comme Raha se couvrent peu la tête, se maquillent et sont souvent à la pointe de la mode. Nous ne sommes pas en Arabie Saoudite.



Pensez-vous qu’un jour le peuple iranien puisse reprendre le chemin des rues et faire changer les choses, même un tout petit peu ? Y a-t-il eu une évolution des mentalités ?
    Les mentalités changent, évidemment. Nous sommes assez loin de l’horreur permanente de l’époque Khomeini. Je ne sais pas si les choses se passeront dans la rue, la prochaine fois, mais il est évident qu’un régime répressif a une date limite de consommation. Le IIIème Reich de Hitler était supposé durer 1000 ans, le communisme, effondré au bout de 70 ans, était là pour l’éternité, etc. etc. Les peuples subissent un temps, puis tout éclate.
C’est mon espoir pour l’Iran, je sais que ce jour viendra. Je ne reverrai peut-être jamais ce pays de mon enfance mais mes fils, si.


Vous n’êtes pas retournée en Iran depuis de longues années. Envisagez-vous de le faire un jour ? Quel regard portez-vous sur l’Iran aujourd’hui ?
    Je crois que je viens de répondre. Je ne pense pas rentrer en Iran à moins d’un changement de régime. Mes activités politiques remontent à un certain temps et il est peu probable que je courre un danger quelconque si j’y retourne--beaucoup de gens en ayant fait tout autant vont visiter sans problème. Mais la liberté n’est pas un concept qui existe en Iran et pour moi il n’y a rien de plus essentiel.


Beaucoup de personnes ne sont pas pratiquantes mais font semblant et suivent les règles rigoureusement, est-il difficile, voire dangereux, en Iran de montrer qu’on ne partage pas la religion du gouvernement ?
    Le petit peuple est pieux et l’a toujours été, les classes bourgeoises et au-dessus, pas du tout et ne l’ont jamais été. Je peux dire qu’autrefois, en Iran, je n’avais jamais rencontré une seule personne faisant ses prières ni entendu une mention quelconque de Dieu, du Prophète ou du Coran. Par contre, nous citions nos grands poètes, Hafez, Omar Khayyam ou Ferdowsi qui tous d’ailleurs dénoncent les faux apôtres et l’équivalent de grenouilles de bénitier. Chez les petites gens, c’était le contraire. Mais même chez eux, le sentiment religieux faiblit. Les mosquées, me dit-on, sont de moins en moins fréquentées, sauf en province.


Depuis quelques années maintenant, la religion (quelque soit le culte) est beaucoup plus présente, voir même radicale dans certains cas. Quels sont vos sentiments face à tous ces bouleversements ?
    Je pense que nous traversons un cycle, détestable à mes yeux, de grande religiosité, ce que prévoyait la phrase sur le 21ème siècle attribuée à tort à Malraux.
Le siècle précédent, pour sanglant qu’il ait été, était aussi laïque: loi du petit père Combe en 1905, révolution russe en 1917, etc. En 1979, la révolution islamique en Iran change la donne et on bascule partout dans la haine ou, en tout cas, dans l’horrible principe que ce que je crois est la seule vérité. L’Islam est bien coupable mais le sont tout autant les colons israëliens dans les territoires occupés (Israël tout entier, longtemps tout à fait laïque, voit une grande augmentation de l’orthodoxie juive la plus étroite), les Indous , les fanatiques évangélistes du Tea Party américain, etc. Pour moi, tout ceci est l’horreur absolue, mais il faut attendre la fin de ce cycle historique.


Azadi n’a pas été publié en Iran mais vous l’avez mis en ligne sur internet en persan. Avez-vous eu des retours de vos lecteurs iraniens ? Et en quoi diffèrent-ils de ceux de vos lecteurs français ?
    Il y a effectivement des Iraniens, surtout des jeunes, qui me contactent avec leurs propres récits, souvent bouleversants. Le plus beau compliment que je puisse entendre, c’est qu’ils s’identifient à mes personnages, allant jusqu’à me dire que j’ai raconté leur histoire. On me dit aussi que Azadi donne l’image la plus précise de l’Iran actuel, ce qui me rend très fière, étant donné que je n’ai pas vu l’Iran depuis des décennies et que même avant la révolution, habitant Paris, je n’y avais fait que quelques courts séjours. Mais j’ai beaucoup écouté et beaucoup lu sur l’Iran actuel et je reste en contact avec beaucoup de gens, donc je crois avoir transmis une réalité, sans trop de préjugés, j’espère. Les gens partout vivent comme ils peuvent, ce n’est pas facile. J’admire beaucoup cette phrase, atribuée à tort à Ovide mais dont je ne suis pas parvenue à établir la source: “Soyez bons, tous ceux que vous rencontrez mènent une dure bataille.”


Votre recueil de nouvelles Entendu ce matin est paru en novembre 2014 aux éditions Caractères. Pouvez-vous nous en parler ?
    Il s’agit de poèmes qui me sont venus au cours de mes promenades matinales au Luxembourg et ailleurs dans mon cher sixième arrondissement. Je happe une phrase au vol et il me vient la suite. Comme j’ai toujours un petit enregistreur avec moi, je dicte tout de suite, les gens doivent me voir en train de parler au téléphone, je suppose. Et voilà. J’en ai à nouveau toute une pléthore, ce sera pour un prochain recueil que j’aimerais intituler “Les rues sont pleines de mots.”


Quels sont vos projets ?
    Un prochain roman, déjà terminé, Le principe du désir, qui se passe dans le milieu de l’art contemporain et de la haute finance à New York, rien à voir avec l’Iran. Puis un livre sur le Chah que j’ai connu, un portrait sans doute différent de ce que l’on sait de lui, et enfin mon grand projet sur mes ancêtres, sans doute aussi sous forme de roman. Les générations qui me précèdent dans cette famille ont été extraordinaires, nées sur plusieurs continents, plusieurs d’entre eux, mes ancêtres ayant connu des destins hors du commun. Je suis l’archiviste de la famille et souhaite partager ce fabuleux héritage.


Merci beaucoup Saïdeh Pakrakan, nous vous laissons le mot de la fin.
    Le mot de la fin c’est que je me considère bénie d’être en littérature, même dans cette part minuscule qui est la mienne. Ce qui restera de notre pauvre humanité, c’est l’art. Longtemps après la politique, les massacres, les ambitions dévorantes, les conquêtes de toutes sortes, c’est pour cela que nous aurons mérité d’avoir vécu. Au risque de verser dans le grandiloquent et même dans le pompeux, je dirais que les Pyramides, ou Persépolis, ou Proust, ou Tagore, subsisteront, ne serait-ce que dans les espaces intersidéraux, quand tout le reste aura disparu. Alors, la république islamique…

  

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