Sophie Loubière





Sophie Loubière

 

 

Bonjour Sophie Loubière, commençons par le rituel de la première interview sur Plume Libre. Pouvez-vous vous présenter ? 
    J'aime assez la définition que donne de moi Jean-Bernard Pouy dans la préface de « L’enfant aux cailloux » : Sophie Loubière, c’est une Agatha Christie qui pète un plomb. Le côté vieille dame qui boît du thé en imaginant le pire, c’est un peu moi - à part le fait que je penche plutôt pour le café noir. Les livres ont toujours fait partie de ma vie. Ma mère me lisait la Comtesse de Ségur, Joseph Kessel, Hervé Bazin, Marcel Aymé et Colette pour m’endormir. Vous avez là en résumé mes principales influences littéraires.

L’écriture a-t-elle été toujours présente dans votre vie ?
    Oui. Mais je ne m’autorisais pas à écrire. Dyslexique à l’école primaire, je souffrais d’une orthographe épouvantable dont ma maîtresse disait qu’elle n’était que « fantaisie ». J’ai longtemps écrit dans des carnets à spirales bon marché, honteuse de mes mots, de mes lettres mal formées. Je me refusais les jolis carnets roses avec leur cadenas que mes copines remplissaient de petits cœurs. Et à 13 ans, le déclic : j’écris ma première nouvelle… en anglais. Il est vrai que j’ai toujours été plus à l’aise avec la langue de Shakespeare. Cela se traduit encore aujourd’hui par le fait que deux de mes romans se passent aux USA. Si j’ai longtemps cherché ma place, tourné autour de l’écriture au travers de mon métier de journaliste presse et radio, mes professeurs de Français avaient déjà décelé chez moi une certaine habilité à disserter, à construire au-delà des mots, des sentiments. Ils ont été mes premiers conseillers littéraires.


Quel a été le déclic pour vous lancer dans l’aventure du roman ?
    Mon premier Mac. A l’époque, il était de la taille d’un gros disque dur avec un écran noir et blanc rikiki. Mais c’était parfait pour une gauchère qui déteste son écriture. La page s’imprime, propre, lignes bien droites. Ca commence déjà à ressembler à un livre…


Dans l’œil noir du corbeau vient de sortir chez Pocket. Pourriez-vous nous le présenter ?
    C’est un roman charnel, sensuel et noir. Il est très cinématographique, en référence à Vertigo d’Hitchcock. On y trouve le même genre de personnage féminin « à double fond », intriguant, faussement fragile. Et puis, le livre s’est écrit dans le même décor : la baie de San Francisco. Je suis allée là-bas effectuer des repérages précis (comme la scène de crime, en haut d’une falaise) qui m’ont permis d’ancrer dans le réel la part fictionnelle du roman. Le personnage de Bill Rainbow, un inspecteur de police à la retraite, est quant à lui un peu comme un poêle à frire : usé, mais parfait pour mitonner les meilleurs plats ! Lorsqu’Anne Darney vient frapper à sa porte à quelques jours de Noël, il ne peut que fondre devant la jolie cuisinière. L’histoire personnelle d’Anne est directement inspirée de la jeune fille que j’étais à 16 ans. Nous avons vécu une passion amoureuse au même âge. Une passion qui vous protège du pire mais vous plonge dans une sorte de prison dont vous risquez de ne jamais sortir si vous idéalisez trop le garçon qui vous a séduite. Rien n’est plus dangereux qu’une passion, mais rien ne sera jamais aussi fort. Ce roman noir est traversé par cet éclat lumineux.


La cuisine est un personnage à part entière dans ce roman.
    Oui, les personnages préparent un festin de noël parallèlement à l’enquête qu’ils mènent. J’aime cette idée d’un couple qui fait joyeusement ses courses tout en réfléchissant à l’affaire criminelle sordide qui remonte à 20 ans et sur laquelle l’un des deux a totalement merdouillé. Ce badinage permet d’aborder une part plus sombre du roman sans tirer le lecteur vers la déprime. Mais je n’ai rien inventé : c’est une technique très anglo-saxonne. Dashiell Hammett l’a admirablement pratiqué dans The thin man.


D’où vous vient cette passion pour la cuisine?
    De l’enfance. Je suis lorraine par ma mère, bordelaise par mon père, et d’origine italienne du côté de mon grand-père maternel. Bel héritage. Entre bonne table et bon vin, comment imaginer un jour que je puisse manger un Bolino. Cuisiner, c’est partager. J’ai autant de plaisir à faire qu’à offrir mes confitures.


Comment s’est fait la rencontre avec le Chef Eric Leautey dont les recettes à l’esprit de Noël sont présentes dans Dans l’œil noir du corbeau ?
    Eric et moi nous sommes connus sur CUISINE.TV en 2000. La chaîne était à ses débuts. C’est formidable à vivre les balbutiements d’une chaîne ; les idées fusent de toutes parts, on est en pleine créativité. Eric était le chef officiel, et moi, l’animatrice très sérieuse d’un débat mensuel « Les dossiers de la bouffe » où l’on causait des grandes causes alimentaires, chaîne du froid, additifs, etc.


Et vous, qu’avez-vous prévu de cuisiner pour les fêtes ? ;)
    Je pense que cette année encore, je n’aurais pas droit au chapitre : c’est mon beau-père qui investit la cuisine à Noël. Révoltant.

 

Les romans de Sophie Loubière



Comment est né votre roman L’enfant aux cailloux ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur des thèmes très forts comme la maltraitance des enfants ?

    Le roman est inspiré de deux faits réels que j’ai imbriqués pour n’en faire qu’un. Elsa Préau, l’institutrice à la retraite qui soupçonne un cas de maltraitance chez ses voisins, est inspirée de ma propre mère et porte le nom de mon arrière-grand-mère (redoutable cuisinière). Educatrice en milieu ouvert, ma mère était très impliquée dans son travail et éprouvait souvent le besoin de nous parler de ses « familles » au moment du repas, de déposer un peu de cette lourde charge émotionnelle à laquelle son métier la confrontait au quotidien (maltraitance, inceste). J’ai donc été très tôt sensibilisé à la détresse des enfants qui n’ont pas eu d’autre choix que celui de grandir dans un milieu hostile, violent et toxique. Parfois, seule la vigilance d’un adulte (professeur, éducatrice, voisin) peut sauver celui qui ne connaît de la vie que les coups, la privation et les humiliations.


L’enfant aux cailloux est également sorti dans les pays anglo-saxons sous le titre The Stone boy. Que ressent-on quand un de ses livres est publié à l’étranger ?
    Une grande fierté. Le livre a été traduit en langue anglaise dans une vingtaine de pays et sélectionné au prestigieux prix de la meilleure traduction étrangère au Royaume-Uni.


Avez-vous eu l’occasion de partir à la rencontre de vos lecteurs anglophones ?
    Pas encore. Mais j’aimerais beaucoup.


Recevez-vous des retours de leur part ?
    Via les réseaux sociaux. Les clubs de lectures sont très actifs, notamment aux Etats-Unis. Il existe des centaines de commentaires en ligne sur The Stone boy. C’est faramineux. Je crois qu’ils ont beaucoup aimé cette histoire contée avec simplicité, réaliste, touchante, et qui évoque un peu de nous même au travers des différents personnages.


Parlons maintenant de Black Coffee. Comment est né ce roman ?
    Du désir que mon mari avait de faire la route 66. Ce que mari veut…


Vous êtes parti en repérage sur la route 66 avec votre famille pour le décor de ce livre, voyage que vous avez d’ailleurs raconté dans votre blog.  Aviez-vous déjà en tête toute cette histoire avant ce voyage ou, au contraire, les paysages rencontrés vous ont-ils amenés à modifier la trame de votre roman ?
    La route a profondément modifié l’idée de départ. D’un jeune couple en voyage de noce sur la mother road, on est passé à un family road-trip inspiré de nos propres déboires sur la route. Il faut dire que nous sommes partis un peu à l’aventure, avec un guide particulièrement mal fichu qui a contribué à nous perdre un nombre conséquent de fois ! En revanche, la figure du tueur qui rôde sur la route des années 60 à nos jours était là depuis le début, avec ce profil particulier. Cet homme agit tel un justicier, un pasteur prêchant pour sa propre église, un « redresseur de mœurs » qui s’intéresse aux pauvres ménagères esseulées, sans doute parce qu’en chacune d’elle, il croit voir sa mère. Il tue avec cette subtilité de celui qui manipule jusqu’à l’âme de ses victimes, sans précipitations, sans violence. Ses victimes vont seules à l’échafaud. La perversité se joue sur le plan moral. Le corps des femmes, ici, est aimé, pas violé. C’est essentiel pour moi. Trop de roman use de perversité et de sadisme envers les femmes. Cette banalité est de mon point de vue douteuse et dangereuse.


Une suite à Black Coffee est-elle toujours d’actualité ? 
    Oui, j’y travaille. White coffee se déroule dans l’Etat de New York et en France. On y retrouve le professeur en criminologie Desmond G. Blur . Il va se retrouver bloqué sous la neige dans un vieil hôtel hanté par le fantôme de Thomas Edison.


A la mesure de nos silences - Sophie LoubièreLe 8 janvier 2015 paraîtra chez Fleuve Editions votre nouveau roman : A la mesure de nos silences. Pouvez-vous nous présenter ce nouveau titre ?
    À la mesure de nos silences nous raconte la naissance balbutiante d’une relation entre un grand-père et son petit-fils. Construit comme un road-movie, le récit nous entraîne sur les routes de France, à la découverte d’un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale – la révolte des soldats musulmans d’un bataillon de la 13e division SS. Le destin impitoyable de tout un pan de la jeunesse croate, embrigadée par les nazis, et sacrifiée au nom d’une idéologie qui ne lui appartenait pas. Au-delà̀ de la grande Histoire, se dresse le portrait croisé de deux personnages émouvants, le vieil homme au crépuscule de sa vie, et l’adolescent à la répartie désarmante, en rébellion contre l’hypocrisie du monde des adultes. Un jeu de miroir entre deux générations que tout oppose. Dans le vieux coupé Volvo qui file vers le sud, une rencontre improbable se noue. Celle de deux êtres diamétralement opposés, comme les deux versants de l’existence. Mais aussi celle de deux cœurs verrouillés, dont chacun pourrait bien être la clé́ de l’autre...


A la mesure de nos silences n’est pas dans la catégorie thriller. Qu’est-ce qui vous a amené à effectuer ce changement ?
    Le sujet même du roman. On ne traite pas sous forme de thriller le destin de jeunes hommes massacrés pendant la guerre. Il faut de la distance, du respect, des mots choisis, surtout pas de cette brutalité propre à l’écriture noire. C’est avec recul et tendresse que l’on conte aux enfants les plus tristes histoires. Plus la voix est douce, plus l’émotion est forte.


Quels sont vos projets ?
    Aller au bout de l’écriture d’une série policière pour la TV, finir le manuscrit de White Coffee, m’inscrire dans une salle de sport. Du pain sur la planche !


Merci beaucoup Sophie Loubière, nous vous laissons le mot de la fin. 
    Pourquoi pas terminer en chanson ? Ces paroles sont une des épigraphes choisies pour A la mesure de nos silences :

Come with me and you'll be
In a world of pure imagination
Take a look and you'll see
Into your imagination
We'll begin with a spin
Trav'ling in the world of my creation
What we'll see will defy
Explanation


« Pure imagination » (paroles Anthony Newley),
chanson tirée du film Charlie et la Chocolaterie

Merci à vous.
Sophie

 Du même auteur Biographie, chronique, interview

 

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