Maud Mayeras

 

 

 

 

 

Caroline Vermalle

 

 

Bonjour Maud Mayeras, la première question est un petit rituel sur plume libre. Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
    Tranchons dans le vif alors ! Que dire… j’ai 32 ans, garçon manqué, fan absolue de films d’horreur, de kebabs et de chocolat. Timide et grande gueule (si, si, c’est possible). Musicophage, chanteuse sous la douche et dépendante maladive de Facebook.


On vous a découvert en 2006 avec Hématome, roman plébiscité par les lecteurs et les sites spécialisés, comment avez-vous vécu cette aventure ?               L'aventure Hématome a été (et est toujours) une grande surprise. Je suis toujours très étonnée de l’engouement que le roman suscite 7 ans après sa sortie. Très honnêtement, je ne pensais même pas que le manuscrit intéresserait qui que ce soit, mais finalement, je n’avais rien à perdre. Et miracle, les portes de l’édition se sont ouvertes. Puis les rencontres avec lecteurs et libraires ont suivi, grand défi contre mon handicapante timidité. Mais ces rencontres sont toujours synonymes de moments inoubliables, parfois très forts, parfois drôles. C’est une véritable ivresse.

 

Que s'est-il passé entre la publication d'Hématome en 2006 et celle de Reflex en 2013 ?
    Du temps, beaucoup, sûrement trop. Je me suis mariée en 2009, et mon fils est né en 2011. Et au milieu de tout ça, l’angoisse de la page blanche, le cliché, l’excuse bête et méchante qui m’a rendue malade. Je ne me sentais pas capable de produire quelque chose de valable, alors j’ai abandonné. Je me suis dit que l’aventure vécue avec Hématome était assez jolie, tant pis si ça devait s’arrêter là. Mais mon mari a insisté, il m’a persuadée, obligée, motivée, il a été le déclencheur de Reflex. Et lorsque mon fils Gabriel est né, la méthode s’est imposée d’elle-même.

 

Vous êtes devenue Maman pendant cette période, la maternité a-t-elle changé, influencé ou inspiré l'écriture de Reflex ? En quoi votre écriture a-t-elle évoluée depuis Hématome?
    Avec Hématome, l’écriture était simple. L’héroïne étant amnésique, j’écrivais un peu au fil de l’eau, quitte à me laisser guider par ses yeux. Je n’avais pas de deadline, mes obligations professionnelles étaient concentrées uniquement sur l’après-midi, les conditions étaient idéales.

Pour Réflex, les choses se sont compliquées. D’abord, parce que j’étais attendue au tournant. Les erreurs du premier roman ne passeraient pas cette fois, j’ai dû écouter avec attention chaque critique, chaque point négatif d’Hématome, pour me remettre en question, changer mon fusil d’épaule et rectifier le tir. La naissance de Gabriel a bouleversé ma méthode d’écriture. D’abord de façon négative, parce que je ne dormais jamais plus de trois heures d’affilée, longue pause de 4 mois donc. Puis, j’ai regardé le verre plein, et j’ai tenté d’optimiser mon temps. Gabriel se réveillait à 4h30 du matin, je le laissais se rendormir près de moi, et j’écrivais. Le but : finir mon chapitre avant son prochain réveil, d’où les chapitres ultra courts. Du coup, chaque minute devenait un vrai défi : dans l’urgence, je suis devenue plus efficace.

 

Comment s’est passée la recherche d’un éditeur pour Reflex ? Conte de fées ou parcours du combattant ? Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle maison d'éditions, Anne Carrière ?
    J’ai envoyé le manuscrit de Reflex à trois éditeurs, dont les Editions Anne Carrière. Je tâtonnais un peu à ce moment-là. Je ne voulais pas faire d’erreur, changer d’éditeur est une décision relativement délicate.

Au bout d’une dizaine de jours, j’avais Stephen Carrière au bout du fil. Coup de foudre professionnel. J’ai su que j’avais trouvé ma maison.


Comment est né votre nouveau roman Reflex ? D’où vous est venue l’idée de départ ?
    Je ne sais plus véritablement quel a été le point de départ de Reflex. Le récit a même dû changer une dizaine de fois en cours de route. Je possédais seulement le point de départ et le point d’arrivée, les balises entre ces deux îles ne se sont véritablement définies qu’à la toute fin de l’écriture du manuscrit complet.

Je voulais écrire l’histoire d’une mère, avec ses angoisses, ses travers, et l’instinct de louve qu’elle peut développer, le titre original était d’ailleurs « Des Louves ». A la naissance de Gabriel, au lieu de ne contenir originellement qu’un seul accouchement, le récit en a contenu finalement trois. La maternité a provoqué le besoin de coucher mes propres angoisses sur papier.

 

Reflex a de nombreux points communs avec Hématome : une héroïne hantée, pas de nom de ville, pas de nom de pays, pas de date une fin qui change complètement le point de vue initial, est-ce un cahier des charges qui vous tient particulièrement à cœur ?
    J’avoue avoir eu très peur, en réutilisant le même cahier des charges, de fabriquer une sorte de « remake » d’Hématome. Phrases courtes, narration à la première personne d’une femme qui a perdu son enfant. Il y a finalement un bon nombre de points commun entre les deux romans.

Mais, je me sens à l’aise dans ce modus operandi, je n’aime pas situer mon propos que ce soit dans l’espace ou dans le temps. J’aime la narration à la première personne, car il me semble qu’elle permet à celui qui la lit de mieux s’enliser dans l’histoire. Ce n’est donc pas une façon de faire qui me tient forcément à cœur, mais plus un confort d’écriture.


Reflex - Maud MayerasDans Reflex vous mettez aussi les relations mère/fille et mère/fils cœur de votre histoire, qu'est-ce qui vous fascine dans ces relations?
    Les relations parents/enfants, qu’elles soient traitées par le cinéma, les séries ou les romans, me fascinent terriblement. Ce lien étroit, invisible, entre une mère (ou un père) et son enfant, ces limites à ne pas dépasser, cette éducation qu’il faut donner. Un enfant croit en tout et ses parents sont son seul point de repère pendant des années. Quoi qu’ils lui apprennent, cela aura un impact déterminant sur sa vie. Le choix entre le Bien et le Mal, à mon sens, se décide à ce moment précis, celui où votre enfant est intimement persuadé que vous êtes Dieu.


Reflex est un roman qui fait appel aux sens. La partie avec Iris à celui de la vue alors que celle d'Henry est basée sur le touché et l'odorat, est-ce inconscient ou c'est une volonté de votre part de faire ressentir vos personnages de cette façon?
    C’est marrant… je n’avais pas remarqué ce point de vue-là. Pour moi, le seul contraste était plutôt auditif… La partie d’Iris, cette femme qui cherche à tout prix à combler le silence, par la musique, ou par le bruit, et face à elle, cette histoire générationnelle, toujours silencieuse. Bref, non ce n’était pas conscient. La volonté de départ était surtout d’écrire une histoire « sensorielle », qui puisse toucher profondément le lecteur, l’agripper, le faire couler.


Pouvez-vous nous dire deux mots sur cette superbe photo de couverture ?
    L’histoire de cette photo est toute particulière. Je l’avais remarquée il y a quelques temps déjà sur la toile, elle m’attirait, je la trouvais belle et dérangeante. Lorsque je l’ai montrée à Stephen Carrière, il l’a trouvée incroyable. Retrouver la photographe n’a pas vraiment été simple ! J’ai appris qu’il s’agissait d’une maman qui avait photographié sa fille, par plaisir, sans contrainte professionnelle ou artistique. La photographe en question s’appelle Philippa Berch et travaille dans un studio de tatouage à Richmond en Virginie. C’est une femme adorable, humble et simple, un cœur sur pattes, colorée, bourrée de talent.

Je suis ravie que cette photo possède sa propre histoire, qu’il ne s’agisse pas d’un cliché puisé dans une banque d’images entre mille autres. Cette couverture est pleine de sens à mes yeux, elle est très précieuse.


Votre roman Reflex est tout en atmosphère, quelle bande son conseilleriez-vous pour accompagner sa lecture ?

    Chacun peut imaginer sa propre musique, ou préférer le silence. A la toute fin de Reflex, vous trouverez ma bande originale idéale, composée de tout ce que j’ai pu écouter pendant la préparation du livre. Les morceaux sont pour la plupart très sombres, à l’image de l’histoire, certains albums ont été déterminants (deux surtout, écoutés en boucle pendant de longs mois : Bring Me The Workhorse de My Brightest Diamond, Lovetune for Vacuum de Soap&Skin). Je me suis attachée à la musique bien sûr, mais aussi aux textes, qu’on ne prend pas toujours le temps d’écouter…

Pour les plus curieux, la bande originale, avec la plupart des clips vidéo correspondant se trouve sur Youtube (Cliquez sur le lien pour découvrir la BO)


J'ai été très étonné par les nombreuses similitudes entre votre premier roman Hématome publié en 2006 chez Calmann-Lévy, et Avant d'aller dormir de SJ Watson publié en mai 2011 par Sonatine. Que pensez-vous de ces incroyables points communs entre les deux textes ?
    J’avoue avoir acheté le Watson, mais ne pas l’avoir lu. J’ai souvent entendu dire que les similitudes étaient flagrantes, mais je ne sais pas exactement à quel point. La seule chose qui peut être gênante, et qui arrive souvent, c’est que les rôles soient inversés et qu’on targue Hématome d’avoir « copié » Watson. Après, il arrive que des idées semblables traversent les têtes à quelques années d’intervalle… Non ?


Avez-vous déjà envisagé de faire une suite à Hématome ?
    Non. Les histoires en plusieurs tomes ne m’intéressent pas vraiment. Et je ne suis pas vraiment douée pour cet exercice ! D’une part parce que je n’en suis pas fan en tant que lectrice, d’autre part parce que je pense qu’Emma en a peut-être déjà assez bavé !


Avez-vous des idées pour votre prochain roman ?
    Oui ! Des tonnes. Pour l’instant, je note, je balise, j’étudie les différents itinéraires que va prendre la prochaine histoire. J’ai mon point de départ et mon point de chute. J’ai quelques balises, mais le tout reste encore à étoffer. Je ne peux pas dire grand-chose pour l’instant, à part qu’il s’agira à nouveau d’un roman très noir. Mais cette fois, le personnage principal sera un homme. J’ai toujours eu envie de me glisser dans la peau tannée d’un homme, d’inverser les rôles, de jouer l’ambiguïté… J’ai hâte.


Seriez-vous attirée ou avez-vous l'envie d'explorer d'autres univers que le thriller ?
    Pour l’instant, je trouve le « noir » beaucoup trop intéressant pour avoir envie de le quitter. Faire ressentir quelque chose au lecteur, un malaise, de la peur, du dégoût, de l’amour, de la pitié, c’est un pouvoir intéressant. Jouissif.

Bref, cela me semble un peu tôt pour tenter la comédie romantique. Mais, il ne faut jamais dire jamais, n’est-ce pas… ?

 

Quels acteurs/actrices imagineriez-vous pour incarner vos personnages dans une version cinématographique ?
    Chacun peut imaginer son propre casting, c’est l’avantage d’un roman ! Pour ma part, et c’est très personnel, seuls deux personnages ont trouvé les traits d’acteurs. Le premier, c’est évidemment Iris, dont j’ai imaginé qu’elle pourrait être incarnée à la perfection par Asia Argento. Ses traits dur, son ambiguïté sexuelle, sa beauté un peu sauvage, un peu étrange. Iris est tout ça dans ma tête, mais elle est 1000 autres femmes. Des mères, des filles, des adolescentes qui se cherchent.

Ian Reisse possède également un visage, celui de l’acteur Brent Sexton qui joue le personnage de Stanley Larsen dans la série The Killing (version US). Un géant roux, incroyable de présence et de force.


Ecrire pour le cinéma ou la télévision est-il une expérience qui vous tenterait ?
    C’est une question que je ne me suis pas posée pour le moment. Ecrire un scénario est un exercice vraiment particulier, bourré de contraintes que je n’ai pas forcément envie de m’imposer pour le moment.

Par contre, adapter Hématome ou Réflex pour l’un ou l’autre de ces supports serait une expérience exceptionnelle ! Être consultant plutôt que technicien, c’est tout de même plus confortable !


Pouvez-vous nous parler de vos derniers coups de cœur ?
    Le dernier en date est « Toi » de Zoran Dvrenkar dont l’histoire rappelle un peu la trilogie Pusher du réalisateur Nicholas W. Refn, avec drogue, butin, et adolescentes paumées. Coup de maître en fond et forme (le roman qui passe de personnage en personnage est écrit à la 2ème personne). Du génie.

Un autre coup de cœur, côté ciné cette fois « Dans ses yeux », thriller argentin que j’ai découvert il y a quelques mois et dont je ne me suis toujours pas remise… Une histoire d’amour, de mort, complexe, profonde, à tiroirs, éreintante.
Et pour finir, « The Killing » (Forbrydelsen en danois dans le texte), une série hallucinante, filmée comme un tableau sombre et fascinant. Une fin qui m’a hantée pendant des semaines.

 

Et l'un de vos coups de gueule actuellement ?
    J’ai pour philosophie de ne pas m’attarder sur les sujets qui m’agacent, m’atterrent, me terrorise. Je préfère promouvoir les belles choses, partager l’intéressant, l’enrichissant.



Quel regard portez-vous sur l'évolution de la blogosphère des amateurs de thriller pendant ces 7 dernières années ?
    Lorsqu’Hématome est sorti en 2006, les blogs n’étaient pas nombreux mais ils foisonnaient déjà de passionnés. C’est incroyable de réaliser que ces mêmes passionnés sont encore présents 7 ans après, militants plus que jamais pour la cause du polar, du thriller et du roman noir. Depuis, les blogs ont fleuri sur la toile par dizaines… C’est très révélateur, chacun a besoin de s’exprimer, de partager, d’échanger. J’ai l’impression que ces discussions plutôt ouvertes sont réellement propres à la littérature de genre... C’est également très rassurant : la littérature noire a encore de beaux jours devant elle avec des défenseurs aussi chevronnés !


Vous êtes une amatrice de tatouages, pouvez-vous nous dire ce qui vous attire dans cet art et le tatouage de vos rêves?
    L’art du tatouage est d’une richesse extraordinaire, les techniques se sont véritablement envolées ces dernières années. Les beaux-arts par exemple ont bousculé cet univers et on voit aujourd’hui arriver de véritables Maîtres de l'aiguille, Comme Navette et son noir inimitable, ou Yann Black et ses esquisses enfantines ultra-pointues. 

Le rituel du tatouage est quelque chose qui me plait énormément. La préparation, la pose, la musique, le bruit de la machine, l’odeur aussi, de la crème, des peaux. Chacun peut faire de son corps un « objet » unique. La peau devient toile, les muscles deviennent des sculptures vivantes.
Le tatouage de mes rêves… celui qui vivrait sur la surface de la peau, un test de Rorschach dans le dos, qui se modifierait au fil des jours, des humeurs et du temps.


Merci Maud Mayeras, on vous laisse le mot de la fin.
    Merci infiniment Stéphane et Fredo, merci Plume Libre d’avoir eu la patience d’attendre 7 ans pour cette interview. Elle est très précieuse pour moi.

Merci aussi à tous les lecteurs de Plume Libre, sans qui.

 

 * Merci à Frédéric Fontès (4 de couv) pour sa participation à l'interview

  Du même auteur : Biographie, chronique, interview

 

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