Patrick Graham - Des fauves et des Hommes

Patricke Graham - Des fauves et des hommes


Bonjour Patrick Graham, pourriez-vous nous présenter votre dernier bébé : Des fauves et des hommes ?
Des fauves et des hommes est un road-movie sur fond de grande Dépression américaine. Nous sommes en 1931, Chaplin présente Les lumières de la Ville avec Virginia Cherrill, et la société américaine s’enfonce peu à peu dans le chaos, les tempêtes de poussière et le désespoir.  Un métayer Noir, rescapé de la campagne des Marines au Nicaragua, retrouve sa maison saisie et détruite par les banques, les siens morts de faim. Il enlève et assassine le directeur de la succursale locale avant de s’enfuir avec le contenu de la sacoche que sa victime portait attachée à son poignet avec des menottes. C’est ce contenu qui déclenche la chasse à l’homme à travers une Amérique ravagée par la crise.

Au-delà de cette intrigue, comme l’avant-propos le signale, ce livre est surtout un hommage aux « grands hommes » de cette époque, aux grands photographes qui l’ont immortalisée, ainsi qu’à tous les anonymes qui l’ont traversée et dont les noms retentiront dans les temps des temps.

J’ai lu dans une critique que la crise qui sert d’arrière-plan à cette intrigue est un personnage à part entière. Je suis assez d’accord avec ça. Il faut savoir que, paradoxalement, cette période a été très riche en création, en réflexion, en espoir. Le roman, la peinture, la musique sont devenus autant d’armes entre les mains des oubliés pour que leur témoignage ne meurt pas avec eux.

Pour ne citer que lui mais il y en a tant d’autres, je pense en particulier à Thomas Kromer qui, via l’agent de Caldwell, de MacCullers ou de Wolfe, fit parvenir à Knopf un drôle de manuscrit écrit sur des bouts de papier et intitulé « Waiting for nothing » avec, en dédicace, cette simple phrase « A Jolène, qui a fermé le gaz ». Paru en France sous le titre « Les vagabonds de la faim », loin, comme le dit la préface de cet ouvrage, du militantisme « maudit » d’un Hamsun ou d’un Fante, il expose ce qu’il a vécu avec ses mots de vagabond. Outre, bien sûr, les immortels auteurs du sud, Il fait partie de ceux qui m’ont inspiré et qui composent l’âme de ce roman.  

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Au commencement, j’avais, comme toujours, une impression, une vision faite d’odeurs, de couleurs, de sons. D’abord un filet de jazz, une route très blanche et gravillonnée, un ciel immense et bleu au-dessus, forcément donc l’océan des grandes plaines ondulant sous la brise brûlante. Et donc forcément un personnage, des cadavres de mules, des chariots abandonnés. Un homme donc, son chapeau trempé de sueur, ses bras aussi, ainsi que son dos. Toujours le filet de jazz, un plan fixe sur l’horizon dessiné par ce ciel et cette route, par ce contraste violent entre le ciel, la route et les plaines. L’homme entre dans le champ de la caméra. Il avance. Il porte une simple chemise et un pantalon de coutil. Sans doute un sac ou une sacoche d’où émerge le col d’une bouteille. Mais peut-être pas car cet homme est déjà un héros du sud et que je n’aime pas l’idée que mes héros du sud boivent ailleurs que dans les bars. Et donc il avance, et, lorsqu’il commence à s’éloigner et que le bruit de ses pas s’estompent, d’autres pas se font entendre, plus légers et rapides. Une gamine en guenilles entre à son tour dans le champ de la caméra. Elle trotte. Elle suit l’homme. C’était une partie très importante de cette vision car elle me rappelait entre autre l’ouverture du Très-Bas de Bobin : « l’enfant partit avec l’ange et le chien suivait derrière ». Je reformule : « L’enfant marchait, tenant la main de l’ange, et le chien les suivait ». À cette différence que, lorsque l’homme se retourne, la fillette s’arrête, recule presque. Puis l’homme lui jette des cailloux en hurlant « Fous le camp ! Arrête de me suivre ! T’es rien pour moi ! ». Et puis l’homme cesse de jeter des cailloux et il reprend sa marche et, comme un chiot, la fillette recommence à le suivre de loin.   

Voilà pour la vision fondatrice. Il est important de comprendre qu’au commencement, elle contient tout le livre mais que ce tout reste encore inaccessible. J’ai donc commencé à « fouiller » cette époque, c’est-à-dire à écouter des dizaines d’heures de musique,  à visionner des milliers de photos,  de publicités et de films, à lire aussi des kilomètres de livres, les grands, les puissants, nés de ce maelström de misère et de désespoir. Des fauves et des hommes est né de la rencontre avec un de ceux-là, du choc de cette rencontre lorsque j’ai ouvert pour la première fois « Louons maintenant les grands hommes », d’Agee et Evans. Un monument. Cette œuvre, exigeante et obsessionnelle, fait partie de ces livres rares qui font dire à un auteur : « j’aurais aimé être capable d’écrire ça ». Avec le recueil de témoignages recueillis par Terkel dans son Hard Times, c’est très certainement l’ouvrage qui a le mieux ouvert la route à ma modeste histoire.  

Outre Reflet dans un œil d’or, Le cœur est un chasseur solitaire, John bien sûr (mais j’y reviendrai), Outre Tennessee Williams, Fitzgerald, Faulkner et tous les autres, un livre (mais il y en a tellement) m’a aussi ouvert les yeux en grand : « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », d’Harper Lee. Si ce n’est pas fait, lisez tous ce livre, quel que soit votre âge et l’état de vos certitudes sur le monde. Il faudrait promulguer une loi obligeant les êtres humains à lire au moins une fois ce livre.  

Au fil de mes recherches, je me suis donc peu à peu retrouvé dans la peau d’un auteur de thriller qui s’apprête à poser ses sabots dans un des thèmes sanctuaires des grands auteurs américains, dans les pas des héros. C’est une impression troublante, forcément celle d’un nain hissé sur les épaules d’un géant. C’était assez flippant et stimulant. Alors je m’y suis attelé. Parce que j’avais envie de m’y frotter, de réveiller les morts, et de donner très modestement à mon tour la parole à ceux qui nous ont précédés.


Vos personnages sont toujours la pierre angulaire de vos livres.  Comment naissent-ils et comment faites-vous pour les rendre si précieux aux yeux du lecteur ?
J’ai beaucoup de mal à raconter des histoires et j’envie parfois ceux qui ont ce talent. Pour moi, une histoire est avant tout un personnage, lequel va se voir confier la lourde tâche de raconter, non pas son histoire, mais un morceau de sa propre vie à l’intérieur de cette histoire.


Une question qui doit revenir souvent concernant le titre, on pense forcément à Des souris et des hommes de Steinbeck.  Est-ce vous qui l’avez choisi ?   Quelle a été la réaction de votre maison d’éditions ?

Ce choix remonte à ma première rencontre avec John. La première fois que je l’ai vu, c’était dans la vitre du wagon bar d’un TGV en rentrant d’un salon. Je réfléchissais sur la suite de mon histoire en me posant des questions de nain. C’est là qu'il a commencé à me faire des réponses de géant. Mon psychiatre m’assure que ce n’était pas John mais quelqu’un qui ressemblait à John et qui devait se tenir derrière moi. Je lui réponds toujours « ouais, doc, je sais » et on passe à autre chose mais au fond de moi, je sais bien que c’était John.

Au hasard de nos rencontres, toujours en reflet dans une vitre, on a parlé de son combat douteux, de ses naufragés, de Lennie et de sa chère Salinas. J’étais en plein doute sur la suite. Thriller, pas thriller. Il a haussé les épaules et m’a dit : « on s’en fout de tout ça, mec. C’est d’abord la Salinas, le paysage qui la contient toute entière et qui n’est au bout du compte que la Salinas. C’est ensuite deux hommes qui sortent de la pénombre de notre esprit et qui avancent. L’un est immense, l’autre brun et renfrogné. On ne sait rien d’eux, sinon qu’ils ont soif et s’arrêtent sur la berge sablonneuse. Le renfrogné boit quelques gorgées dans le creux de sa main, le géant plonge sa tête dans l’eau et aspire. Le reste n’a aucune espèce d’importance ».

Alors bien sûr quand j’en ai parlé à mon éditeur, sa première réaction a peut-être été de se dire : c’est too much, on va se faire flinguer. Et puis on a bu du vin. Lui quelques gorgées, moi en aspirant. Et, au bout du compte, on s’est dit que c’était bien.


Avez-vous un droit de regard sur les couvertures de vos romans ?   Celle de Retour à rédemption était déjà très belle mais celle Des fauves et des hommes est tout simplement magnifique.

Oui, au début. J’ai en gros le droit de dire non une ou deux fois. Ensuite, quand mon éditeur est persuadé d’avoir trouvé, il me dit « qu’’est-ce que tu en penses ? » mais, derrière cette question, il faut entendre « est-ce que tu m’aimes ?»

Pour cette couverture, nous avions d’abord prévu une couv kingienne assez flippante. J’ai dit à mon éditeur « ouais c’est chouette mais c’est non : c’est avant tout un roman, et ce n’est plus le même univers ». Alors, il a ressorti plusieurs lots de photos de la crise et du sud, et c’est cette idée qui s’est imposée.  


Des fauves et des hommes est votre 4ème roman et tous se déroulent aux Etats-Unis.   Est-ce un choix délibéré de votre part ou bien une évidence ?  Envisagez-vous, un jour, de situer votre intrigue en France ou ailleurs ?

C’est une question qui revient souvent. Oui c’est un choix délibéré car, encore une fois, j’ai avant tout besoin d’espace pour mes livres. Oui, ça pourrait se passer en France mais pas à notre époque, je ne sais pas pourquoi. Sans doute à cause encore une fois de l’espace, encore plus restreint à cause de la vitesse des moyens de transport. Je n’envisage rien en tout cas. Ça s’impose ou non.


Il était question d’un nouveau roman mettant en scène le personnage de Marie Parks.   Est-ce toujours d’actualité ?   Et de manière plus générale, quels sont vos projets ?

Oui, mais pas seulement elle. Je vous en dis plus très bientôt. Pour le reste, je n’ai actuellement aucune idée précise de ce que je veux écrire. J’ai relu dernièrement l’Ecriture ou la vie. Depuis, je ne fais plus aucun projet.


Merci beaucoup Patrick Graham pour le temps que vous nous avez accordé et comme d’habitude, nous vous laissons le mot de la fin.

« Louons maintenant les grands hommes et nos pères qui nous ont engendrés. La gloire du Seigneur s’est accomplie en eux, de par son immense pouvoir, dès les commencements. Il en est parmi eux qui ont laissé un nom après eux afin que soient rapportées leurs louanges. Et il y en a dont le souvenir ne s’est pas perpétué, qui périrent comme s’ils n’avaient jamais été, et sont devenus comme s’ils n’étaient jamais nés, et leurs enfants après eux. Mais ceux-là étaient des hommes miséricordieux dont la vertu n’est pas tombée en oubli. Leur semence perdure, celle de leurs enfants en leur honneur. Leurs corps sont ensevelis en paix mais leur nom vivra dans les temps des temps ».

 Du même auteur sur Plume Libre : Biographie, chronique, interview

 

 

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