René Manzor

René Manzor


Juin 2012








Bonjour René Manzor, voici le petit rituel de présentation pour les lecteurs de Plume Libre… Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
J’ai toujours éprouvé le besoin de raconter. Aussi loin que je me souvienne. J’ai d’abord assouvi ce besoin à travers le cinéma avec des long-métrages comme « Le Passage », « 3615 Code Père Noël ». Puis j’ai eu la chance que ces films soient appréciés par Kathleen Kennedy, la productrice de Spielberg. Elle m’a invité à Hollywood pour travailler sur un projet. Je comptais y passer quelques mois, j’y suis resté dix ans. Pendant ces dix ans, j’ai réalisé pour la télé et le cinéma, et j’ai continué à écrire beaucoup, pour moi et pour les autres.


Vous écrivez depuis très longtemps pour le cinéma, la télévision. Quel a été le déclic pour passer au roman ?
Mes écrits d’adolescent étaient avant tout romanesques. La difficulté a été pour moi de me détacher de cette écriture-là en abordant le cinéma, plutôt que d’y revenir. Je me souviens qu’après avoir lu le scénario du “Passage”, Alain Delon m’avait dit: “J’ai beaucoup aimé votre roman”. Et il ne plaisantait qu’à moitié. Mais ce qui m'intéresse surtout dans l'exercice romanesque est qu'il permet une exploration plus approfondie des personnages d'une histoire. De leurs émotions face à une intrigue qui les malmène et des choix qu'ils vont devoir faire, quitte à s'opposer à leur destin.


Pouvez-vous nous présenter Les âmes rivales ?
J’aime beaucoup l’angle qu’ont choisi mes éditeurs pour entrer dans cette histoire en rédigeant le 4e de couverture. Alors je la présenterai comme eux. L’histoire commence en Louisiane, en 1975. Dans la pénombre d’une église, une fillette supplie le prêtre de l’aider : un homme étrange qui se dit son ami la suit partout, mais elle est la seule à le voir. Personne ne la croit ! Elle s’appelle Cassandre, elle est terrifiée et le prêtre ne trouve pas les mots… la fillette s’enfuit. Dix ans plus tard, à New York, quand Cassandre tombe follement amoureuse, la peur revient : le fantôme qui la hante depuis son enfance n’acceptera jamais de rival…


D’où vous est venue l’idée de départ ? ?
Depuis tout petit, je fais un rêve étrange et récurrent fait de décors sans personnages : un Luna Park abandonné au bord d’une plage, un manoir victorien dévoré par des plantes grimpantes, un pont suspendu sous la neige. Je me suis longtemps demandé ce que ces « visions » attendaient de moi. Et j’ai eu beau chercher à les ignorer en imposant à mon esprit d’autres images avec ma caméra, le rêve était toujours là, dormant. Et quand la fatigue se faisait sentir, il refaisait surface. C’est ma femme qui m’a arraché à cette obsession, en parvenant à me convaincre que cette histoire était peut-être destinée à être écrite sans caméra. Avec mes mots comme seul bagage. Deux ans après, le livre est là !


Sans trop vouloir en dévoiler, votre roman aborde le thème de la vie après la mort, la réincarnation… Pourquoi ce choix ?
Les thèmes de la mort, d'un au-delà dont on peut revenir, de la confrontation à l'inexplicable, sont présents dans presque tous mes films. Et ce roman ne fait pas exception à la règle. Mes éditeurs le qualifient de « thriller surnaturel », mais c'est aussi et surtout une histoire d'amour impossible qui pose la question de la survie des sentiments. Deux hommes s'y disputent l'amour de la même femme depuis la nuit des temps. L'un d'entre eux est un fantôme. Est-ce qu'une partie de nous nous survit après la mort ? Et, si oui, que devient-elle ? Conserve-t-elle la mémoire des sentiments qu'elle a éprouvés, ou doit-elle tout reprendre à zéro ? La réponse appartient à chacun, mais la question à tout le monde.


Les âmes rivales - René Manzor Aviez-vous déjà en tête les différents rebondissements de votre livre avant d’en entamer la rédaction ou vous êtes-vous laissé porter par l’histoire et/ou vos personnages ?
Je ne crois pas à l’idée qui voudrait que l’inspiration soit une sorte de manne créative qui tomberait sur un auteur qui en serait le scribe. Il faut aller chercher l’inspiration au plus profond de soi, comme un mineur qui extrait un minerai précieux. Et dans cet exercice, il y a souvent plus de transpiration que d’inspiration. Il y a aussi des coups de grisou. On n’en sort pas indemne. On en sort le plus souvent bredouille. Il y a tous ces kilomètres que l’on fait en tournant autour de sa table de travail sans rien pouvoir écrire. Dehors, il fait beau. On est tenté de rompre son isolement stérile pour rejoindre les siens. C’est à ce moment-là qu’il faut replonger plus profond et sans bouteille. Comme un derviche tourneur qui cherche le vertige pour que la raison lâche et qu’il puisse enfin accéder à ses visions, l’auteur doit se transporter au cœur de l’action qu’il imagine et se servir de ses cinq sens pour en rapporter le témoignage émotionnel le plus exact au lecteur. Le reste n’est qu’une technique d’écriture qui varie selon les auteurs. La mienne me permet juste de structurer mes idées mais elle précède toujours la rédaction proprement dite.


Travaille t-on de la même façon à l’écriture d’un roman et à celle d’un scénario ?
Un film, c'est une suite d'écritures successives dont le scénario n'est que la première. Le tournage, la direction d'acteur, le montage, le mixage sont une somme de réécritures que l'on a remise à plus tard au moment de la conception du scénario. Quand on écrit un roman, on ne peut rien remettre à plus tard. Tout doit être dit. L'intrigue et les dialogues ne sont que la partie émergée de l'iceberg. Les états d'âme des personnages, leurs pensées les plus intimes sont communiquées au lecteur. Quand on écrit pour la caméra, on se doit d'être objectif, sec, clinique, factuel. Quand on écrit pour le roman, le subjectif l'emporte.


En regardant les films sur lesquels vous avez travaillé et maintenant votre roman, on se rend compte que vous avez un faible pour le fantastique. Qu’est-ce qui vous attire dans cet univers ?
La liberté qu’il offre à l’imaginaire. Mais je ne m’y sens à l’aise que si les amarres du « crédible » ne sont pas coupées. J’ai besoin que mes histoires se déroulent dans un monde bien réel, que le lecteur croie à cette réalité, qu’elle lui soit familière. J’ai besoin qu’il puisse se projeter facilement dans mes personnages de façon à être confronté comme eux à des événements qui le dépassent. Ce qui m’intéresse, dans le genre du thriller, ce sont ces moments où les personnages d’une histoire, en même temps que leurs lecteurs, sont obligés progressivement d’abandonner le cartésianisme qui les gouverne pour s’ouvrir à une autre façon de voir les choses, là où l’intuition et l’instinct sont plus utiles que la raison.



Comment s’est passée la recherche d’un éditeur ?
Ne connaissant personne dans le monde de l’édition, j’ai envoyé mon manuscrit par la poste à différentes maisons d’édition. Comme tous les auteurs, j’ai eu des refus le plus souvent justifiés par la même lettre type. Avec la même question sans réponse qui vous taraude : « A-t-on été lu ? » Et finalement, j’ai eu la chance de l’être par Caroline Lépée et par Philippe Robinet dont l’enthousiasme contagieux m’encourage à continuer d’écrire.


Etes-vous vous-même un lecteur ? Quels sont vos derniers coups de cœur et/ou vos livres de chevet ?
J’aime la littérature populaire, celle d’hier et celle d’aujourd’hui. J’ai toujours préféré Hugo à Balzac. J’ai des "maîtres" en écriture. Des romanciers britanniques comme Daphné du Maurier, des Français comme Pierre Boulle ou Barjavel, des Américains comme Cornell Woolrich, Theodore Sturgeon et Pat Conroy. Généralement, ce sont des écrivains qui allient le mystère surnaturel d’une intrigue bien ficelée à des personnages pétris d’humanité, le tout baignant dans un style résolument littéraire. Mes derniers coups de cœur sont Carlos Ruis Zafon, Donato Carrisi et Shane Stevens.


Pour en revenir au cinéma, auriez-vous envie de porter sur grand écran « Les âmes rivales » ?
Pour moi, adapter les « Âmes rivales » au cinéma ce serait un peu comme en faire le remake. Car j’ai vraiment l’impression d’avoir déjà filmé cette histoire avec mes mots. Et puis ce serait un peu trahir l’imagination de chaque lecteur. Quand on se sert uniquement de mots pour raconter, le lecteur est metteur-en-scène de l’histoire. C’est lui qui visualise. L’écrivain ne fait qu’exciter son imaginaire. Il appartient à chaque lecteur de faire son casting. Bien sûr j’ai ma propre lecture, mais ce n’est pas la bonne, c’est juste la mienne.


Votre film Le passage reste intimement lié à la chanson de Francis Lalanne : "On se retrouvera". La musique est-elle importante dans votre vie ? Auriez-vous, par exemple, une bande son à conseiller aux futurs lecteurs de votre roman ?
« Every Breath You Take » du groupe The Police


Quels sont vos projets ? Allez-vous continuer à écrire des romans ?
J’ai très envie de tenter de mener de front mes activités de cinéaste et d’écrivain. Certains écrivains rêvent de faire du cinéma. Moi j’ai toujours rêvé d’écrire des romans. C’est la plus belle façon de raconter une histoire. La plus directe. Il n’y a pas le moindre obstacle entre vous et le lecteur. Pas la moindre concession à lui faire. Il est votre complice. Ce n’est pas un spectateur, c’est un spect’acteur..


Merci beaucoup René Manzor, nous vous laissons le mot de la fin.
« Mystère » a toujours été le mot que je préfère.

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