Gilles Legardinier







Janvier 2011

 





Bonjour Gilles, que s’est-il passé dans votre vie professionnelle depuis notre dernière interview (mars 2010) ?

Beaucoup de choses ! Pour parler des livres, « L’Exil des Anges » a poursuivi son chemin, fort du Prix SNCF du Polar et du Prix des Lycéens et Apprentis de Bourgogne. Il y a eu beaucoup de salons un peu partout en France, des manifestations, des tables rondes, des rencontres et la naissance de mon site, qui renforce encore le lien. Les rencontres avec les lecteurs m’ont conforté dans ma démarche et mon envie de faire de mon mieux au service des imaginaires et des sensibilités. Échanger avec les gens pour qui on a envie de donner est un remarquable moteur. Parallèlement à tout ça, j’ai poursuivi mes activités dans le cinéma et bien sûr, j’ai continué à écrire !


Votre nouveau roman, « Nous étions les hommes », sort le 13 janvier. Pouvez-vous nous le présenter ?
C’est un thriller, très centré sur ce que nous sommes tous et sur ce qui peut réellement nous détruire. J’espère qu’il est atypique, humain et surtout plein d’espoir. Ce sera à vous de dire si j’ai réussi. L’écrire a été une véritable aventure humaine et cela a changé ma façon de voir la vie, la mort et le moyen de mieux traverser ce qui sépare l’une de l’autre.


Comment vous est venue l’idée de cette histoire ?
Cette histoire est née d’une peur et d’une envie. La peur de perdre ceux que j’aime et l’envie de me battre pour que cela n’arrive jamais. Nous sommes confrontés aujourd’hui à des dangers que l’humanité n’a jamais connus. Cela arrive au moment où nous avons plus que jamais les moyens d’y faire face. « Nous étions les hommes » parle de ce que nous pouvons concrètement faire face au plus grand défi qui nous est lancé. Chaque épreuve est une occasion de grandir, et celle que la nature nous envoie doit nous forcer à mûrir. Il y aura toujours des imbéciles pour vivre sans penser aux autres, pour profiter sans limite, dans l’excès, quitte à tuer ce qui les nourrit. Mais ceux-là n’ont jamais fait le monde. Ils se contentent de le polluer à tous les sens du terme. C’est pour les autres qu’il faut se battre. C’est sur cette conviction profonde, étroitement liée à ce que je ressens de positif pour mes semblables, qu’est née cette histoire.


La maladie d’Alzheimer joue un rôle important dans ce roman. Pourquoi avoir choisi cette maladie en particulier ?
Ce n’est pas un choix. Le sujet est à la mode et beaucoup se servent de cette maladie comme d’un simple ressort dramatique opportuniste. Le fait de l’avoir choisie pour être un des sujets de mon roman repose sur tout autre chose. La mémoire est ce qui nous définit en tant qu’êtres humains. C’est grâce à la mémoire que nous apprenons, que nous nous élevons dans nos modes de vie, c’est aussi grâce à elle que nous identifions, que nous reconnaissons ceux que nous aimons, ceux qui constituent notre famille, notre tribu et notre espèce. Les dégénérescences de type Alzheimer remettent cela en cause. Ce n’est pas une épidémie. Ce n’est ni la rage ni la peste. Cela ne nous tue pas directement, mais cela nous vole ce qui fait de nous des êtres humains. A mon sens, il s’agit de bien plus qu’un enjeu de santé publique. C’est de la survie de nos civilisations et de notre espèce qu’il est question. Contrairement à ce que certains pourront croire, mon livre ne relève pas de la science-fiction.


Votre récit repose sur un énorme travail de documentation. Comment se sont passées ces recherches ?
Même si j’imagine une intrigue, par respect pour ceux qui souffrent directement ou indirectement de cette maladie, je ne me voyais pas écrire sans posséder mon sujet. J’ai d’abord beaucoup lu, puis rencontré des spécialistes, discuté de toutes les approches de la maladie. J’ai aussi passé du temps dans des unités de soin, assisté à des consultations mémoire. Je me suis efforcé de prendre la mesure du mal et de sa réalité, tant sur le plan thérapeutique que sur l’impact qu’elle peut avoir sur les vies des accompagnants. C’était une démarche difficile, douloureuse, et souvent, je suis revenu chez moi le moral à zéro. Mais j’ai aussi découvert des gens qui sont loin de baisser les bras, qui cherchent et se battent. Ils sont notre plus bel espoir face à ce fléau. Le livre parle aussi d’eux et mes deux personnages principaux leur ressemblent. Je me suis aperçu que face au pire de ce qui nous menace, se révèle le meilleur de ce que nous sommes. C’est un aspect qui imprègne toute mon histoire.


Nous nous sommes laissé dire que les professionnels qui vous ont aidé dans cette quête ont eu la chance de lire votre roman en avant-première. Quelles ont été leurs réactions ?
Je ne suis pas un spécialiste et j’ai préféré faire relire le manuscrit par des pros de ce secteur. Hormis quelques détails très techniques qui ont été corrigés, tous ont dit que la réalité de la maladie, des enjeux et des sentiments qu’elle déclenche était bien rendue. Cela m’a rassuré. Un professeur m’a même dit que mon histoire lui avait permis de remettre certaines approches en perspective. J’en ai été bouleversé.


Vos personnages, et notamment le docteur Kinross, sont très charismatiques. Aura-t-on la chance de le retrouver dans un futur roman ?
J’ai beaucoup d’histoires à vous proposer et dans des genres très différents. Comme pour chacun de mes livres, je m’attache à chacun de mes personnages, même les plus sombres. Je n’aime pas quitter les gens, même sur le papier. Mais par respect pour le lecteur, pour la variété de ce que j’espère lui apporter, il est probable que je ne me répéterai pas.


A ce propos, une série avec des personnages récurrents, est-ce un « exercice » qui vous attire ?
Pour moi, l’idée d’écrire ne peut jamais relever d’un exercice. Je me sers de mes émotions pour emmener les gens. Si je trouve une histoire qui mérite d’être traitée en plusieurs livres, alors les personnages seront récurrents, sinon, je ne le ferai jamais au nom d’un principe ou d’une rentabilité.


L’écriture d’un second roman est-elle plus difficile ?
Tous mes métiers m’obligent à écrire. Parfois j’écris sur les univers des autres, parfois sur des choses beaucoup moins impliquantes que ce roman. Je n’ai jamais eu de difficulté à écrire. C’est une envie spontanée motivée par le désir de partager une imagination que je n’arrive pas à calmer et une envie permanente de comprendre et d’approcher les gens. Je n’ai rien à soigner, rien à exorciser, rien à prouver, du moins pas dans les livres. J’ai simplement envie de proposer et de partager.


Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ?
Ce n’est pas un effort. C’est ma nature. Depuis ma plus tendre enfance, j’ai voulu travailler dans le cinéma parce que c’était pour moi le moyen le plus puissant de partager une émotion à grande échelle. Mais le livre est le moyen le plus direct, le plus intime et le plus libre. Je trouve extraordinaire de pouvoir parler de sujets extrêmement personnels avec de parfaits inconnus simplement parce qu’ils ont lu un de mes livres. C’est un privilège absolu. Une expérience. Alors je n’ai aucun doute sur le fait que nous sommes une espèce que ça vaut le coup de protéger !


Vous aimez aller à la rencontre de vos lecteurs (et des autres). Que vous apportent ces rencontres ?
Elles sont la base de ma vie. Les deux plus grands prix que j’ai gagnés avec « L’Exil des Anges » sont des prix de lecteurs. C’est pour eux que je travaille. Mais le fait que ce soient des lecteurs ne conditionne pas tout. Ce sont avant tout des individus. L’effet est le même avec mes proches ou mes voisins. L’intensité n’est peut-être pas la même, mais tout est dans le contact, l’échange. Quand on capte ces regards, quand on entend ces mots, quand on vous fait assez confiance pour vous laisser entrevoir la réalité des vies, je me dis que ceux qui passent leur temps sur Facebook ou Twitter ratent quelque chose d’essentiel.


Avez-vous reçu des propositions d’adaptation ciné pour vos romans ? Si oui, voudriez-vous être associé à ce projet et comment ?
« L’Exil des Anges » a fait l’objet d’une option qui n’a pas pu aboutir faute de budget. Il y a d’autres projets en cours. 25 ans de cinéma m’ont appris qu’il faut du temps pour bien faire les choses. J’ai autant de respect pour les lecteurs que pour les spectateurs et je préfère attendre les bonnes occasions plutôt que de sauter sur une illusion et de trahir ceux qui verront le résultat. Un livre, un film, c’est une relation de confiance entre des gens qui veulent une histoire – quel que soit son genre – et des gens qui ont envie de les raconter. La base est là, du conteur au coin du feu aux superproductions planétaires.


« L’Exil des Anges », « Nous étions les hommes », deux thrillers humanistes où vous montrez le côté le plus sombre de l’espèce humaine tout en gardant un formidable espoir. Êtes-vous un incorrigible utopiste ou y croyez-vous réellement ?
Au-delà de toute considération religieuse, il semble que notre condition d’humains soit de souffrir et d’espérer, d’aimer et de perdre, de ne plus croire et de trouver quand même. J’aime cette vie. Comme beaucoup, j’ai croisé des gens qui m’en ont dégoûté. Heureusement, j’ai eu la chance d’en croiser d’autres, plus nombreux, qui m’ont appris l’espoir et l’envie. A ma petite mesure, humblement, j’écris pour aider les seconds à supporter les premiers. L’unique moyen que j’ai trouvé de ne pas être seul est de tenter d’être utile.


Quels sont vos projets pour cette nouvelle année ?
Il y en a tellement…  Mon prochain roman est fini et c’est une comédie. Même si cela peut paraître surprenant, vous verrez qu’elle a beaucoup de points communs avec mes thrillers ! La semaine dernière, j’ai commencé un nouveau thriller. Mais pour le moment, j’accompagne la sortie de « Nous étions les hommes ». J’espère qu’il va rencontrer les gens pour qui je l’ai écrit.

Merci beaucoup, Gilles, et comme d’habitude, nous vous laissons le mot de la fin.
Merci à vous, et il n’est pas trop tard pour vous souhaiter à tous, une belle et chaleureuse année 2011 !


Après tout ça, il nous en fallait encore plus et qui mieux que Pascale Lecoeur (sa femme) et Éphémère (illustrateur et ami) pour nous parler de celui qui est un auteur formidable et un homme extraordinaire.
Nous savons qu'il n'aime pas les surprises mais qu'il adore en faire alors celle-ci est faite juste pour lui dire merci et parce qu'il le vaut bien ...
Gilles
Par Pascale

Pas facile de confier ce que je pense de Gilles. Lui et moi préférons la discrétion. De plus, écrire sur lui n’a rien d’évident tant il y a à dire, et écrire sans lui est très inhabituel pour moi. Mais puisque vous me le demandez, je vais vous dire ce que je sais. Je vis et je travaille avec lui. Je l’observe tous les jours. Je le connais depuis le lycée. Depuis plus de vingt ans, je le vois rire, démarrer au quart de tour, avoir mille idées par jour. Il m’épuise. Il dort peu. Il réfléchit à tout, tout le temps !
Je pourrais vous raconter son humour, sa mémoire phénoménale, son esprit d’analyse et de synthèse, sa curiosité, sa générosité de cœur et d’âme, ses blagues, ses nombreux combats. Plus que tout, je le vois aimer. Je l’ai connu farouche, cachant sa sensibilité derrière un esprit aiguisé qui ne laisse rien passer. Et puis avec la maturité, il a pris confiance, il arrive à être gentil tout en étant puissant.
Au début, j’avoue avoir été parfois un peu jalouse de la relation privilégiée qu’il entretient avec chacun de ceux qu’il rencontre. Il écoute toujours ceux qui lui parlent, et je suis fascinée du contact qu’il a avec les gens. Grâce à ce don, nous avons vécu des moments incroyables un peu partout dans le monde. Son carnet d’adresses est surprenant. Toutes sortes de gens, n’importe où. Toujours le même lien, fidèle. Chaque fois que vous êtes face à Gilles, vous avez la sensation qu’il n’y a que vous dans sa vie. Et c’est un peu vrai.
En 16 ans de collaboration, on ne s’est jamais affrontés une seule fois et pourtant, on est loin d’être toujours d’accord. Il y en a toujours un pour convaincre l’autre. Il m’a constamment poussée à aller le plus loin possible et j’essaie d’en faire autant (dites-lui une fois pour toutes que je ne suis pas son dictionnaire d’orthographe vivant !). Mais personne n’est aussi exigeant avec lui que lui-même.
Au-delà de tout ce que l’on peut dire de convenu, Gilles passe son temps à essayer d’améliorer les choses, à porter les gens plus haut. C’est peut-être pour cela qu’il est impatient, intransigeant avec ceux qui gâchent ou ceux qui trahissent. Il y aurait tellement à dire sur lui…
Lorsqu’on était dans la même classe, en terminale D, je l’ai vu sauter de son vélo pour éviter un chien. Il s’est à moitié tué ! Je l’ai vu ramper sous le bureau de la prof de français pour lui faire peur – la prof était furieuse mais elle riait tellement que ça s’est fini avec le proviseur en fou rire général. Je l’ai vu porter le cercueil de son père, je l’ai vu construire des rêves à nos enfants, je l’ai vu m’offrir autant de roses que nous avions passé de jours ensemble pour nos dix ans de mariage (je vous épargne le calcul : ça en fait 3653 !), je le vois en permanence s’enthousiasmer et se révolter, je l’ai vu se battre contre quelques abrutis, je l’ai vu pleurer de joie devant des écoliers pour qui il avait inventé des projets impossibles, je l’ai vu pleurer tout court un grand nombre de fois, je l’ai vu s’emporter parce que ce qui aurait pu être un grand film se contentait d’être un bon film. Je l’ai vu s’ouvrir la main en jonglant avec un corbeau empaillé sur le décor de Robin des Bois Prince des voleurs. Je ne l’ai jamais vu céder à un chantage ou à la facilité, et il en a chaque fois payé le prix. Je l’ai vu se faire courser par un troupeau entier de veaux au bord d’une falaise écossaise (demandez-lui de vous raconter ça…). Il est l’homme le plus généreux et le plus vivant que je connaisse. Je sais qu’au moment où vous lisez ces mots, il a déjà d’autres idées, d’autres projets en tête. Ça me fatigue à l’avance, mais c’est une vie plus forte, une vie passionnante que je n’aurais jamais rêvée. Demandez à ses proches : lorsqu’on l’a rencontré, difficile d’envisager la vie sans lui. Moi je n’y arrive pas.
Il n’est pas évident de parler de Gilles. Le mieux est encore de lire un de ses livres pour savoir ce que vous souhaitez en penser. Tout ce qu’il est se trouve dedans.
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Gilles

Gilles est de ces personnes qui vous marquent dès la première rencontre. La passion et l’enthousiasme qui l’animent, font de ces échanges, des moments inoubliables. Chaque fois que je l’ai retrouvé, j’ai eu l’impression de revoir un vieil ami, quitté la veille. Loin de ces auteurs nombrilistes qui ne savent que parler d’eux-mêmes, il sait écouter les autres, sans faux-semblant, sans mièvrerie, simplement, sans chercher à séduire ou à impressionner. A ses côtés, on a soudain le sentiment de pouvoir affronter tous les combats de la vie. Et c’est justement cette vie, cette humanité, qui transparait dans ses ouvrages. Alors, j’aurais pu vous parler de ses livres, mais j’ai préféré vous parler de ce que je sais de lui.

Ephémère

 

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