Le syndrome E



 

 

 


 
 
 
 
Le chemin qui mène d’un signal électrique dans le cerveau aux 800 000 signes composant la trame d’une histoire n’est pas un long fleuve tranquille. Je vais essayer de vous retracer les grandes étapes de la création d’un roman, et en particulier le Syndrome E. Chaque auteur possède son propre processus créatif, voici le mien…



Que signifie cette photo ?
Simplement que je veux écrire une histoire de genre « policier », que j’ignore encore quel en sera le sujet, mais je sais déjà, par contre, que cela sera un véritable casse-tête.

    L’écriture d’une histoire est tellement envahissante, prenante, puissante, qu’elle me pompe littéralement toute mon énergie et m’empêche de penser à autre chose tant que le point final n’est pas posé. Si bien que, à chaque fois que je termine un roman (en l’occurrence ici, c’était Fractures ), je me trouve toujours confronté à la même angoisse : et maintenant, que vais-je faire ? 
    Je rentre alors dans une phase dite « de recherche d’idées ». Mon esprit se confronte à plusieurs interrogations en même temps. Vais-je créer de nouveaux personnages ou poursuivre l’aventure de certains déjà créés (Franck Sharko, Lucie Henebelle…) ? A quelle époque vais-je situer mon histoire ? A quel endroit ? Vers quels thèmes vais-je m’orienter ? Roman policier ? Suspense ? Thriller ? Huis-clos ou enquête à ciel ouvert ? Bref, je vous laisse imaginer la tempête électrique qui règne à l’intérieur de cet organe blanchâtre et visqueux que l’on appelle cerveau.
    Parce qu’aujourd’hui l’expérience me permet de dresser un état des lieux, je sais que cette phase qui, pour moi, reste la plus difficile, dure globalement deux mois. Deux mois où mon matériel se résume à ceci :

Ordinateur, dictaphone, carnet de notes et stylo…   

Internet représente le gros de mon terreau de recherche. Je ne sais pas réellement ce que je cherche, mais je cherche. Faits divers, reportages, faits de sociétés, curiosités, le tout en rapport avec mon univers. Je bondis de site en site. Disons que mon esprit se transforme, en quelque sorte, en éponge : il absorbe tout, analyse, trie, jette en met de côté. C’est une période, aussi, où je vais regarder beaucoup de reportages, lire davantage la presse, jeter un œil à ce qui se fait ailleurs en matière de thrillers et de  romans policiers. Je vais commander des ouvrages techniques par pulsion, sur des thèmes que je ne connais pas, simplement pour voir s’il y a moyen d’en extraire une intrigue forte.
 
À un moment donné se crée une connexion, magique, qui fait que l’on se dit : « ça y est, j’ai mon idée. Voilà le sujet de mon roman ». Je dois avouer que lorsque cette connexion se crée, c’est pour moi un énorme soulagement. Parce que je sais que je tiens mon roman…
Pour
Le syndrome E, cette connexion s’est établie lorsque j’ai découvert un effroyable fait de société qui s’était passé au Québec dans les années 40, et qui s’est étalé sur une vingtaine d’années. À cela s’est greffée, presque simultanément, une autre découverte, davantage médicale celle-là, et incroyable. Quelques lignes dans le Lancet (revue médicale britannique), qui ont tout fait basculer.

 

     Le syndrome E venait de naître. Enfin…

 

      Autre aspect très, très important : les personnages. Je voulais écrire une véritable intrigue policière : meurtres, enquêtes, le tout bien ancré dans la réalité… Certains lecteurs me réclamaient Franck Sharko (Train d’enfer pour ange rouge, Deuils de miel) d’autres Lucie Henebelle (La chambre des morts, La mémoire fantôme). J’ai toujours eu envie de poursuivre l’aventure avec ces personnages, parce qu’ils ont encore beaucoup de choses à raconter. Alors, lequel utiliser ? Lucie ? Franck ? Mon cœur balançait. Je me suis alors dit : « Et pourquoi pas les deux ? Ce serait intéressant de confronter deux caractères volcaniques aussi différents ». Acté, signé : Sharko et Henebelle seraient les personnages du Syndrome…

Important :

Le Syndrome E entre dans le cadre d’un diptyque consacré à la violence, il y avait tant de chose à raconter. Cela signifie que mon prochain roman reprendra les personnages de Lucie Henebelle et Franck Sharko, dans une histoire complètement différente mais abordant une autre dimension absolument bluffante de la violence.

 

  
Pour moi, ces deux phases se complètent l’une l’autre et sont indissociables. La documentation me permet de créer mon histoire, et le fait de penser à des scènes nouvelles nécessite une connaissance documentaire parfois importante.

Voici un exemple, deux pages de mon carnet de notes (celui de la première photo), qui se remplit fortement dans cette période :
  
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  Je sais, j’écris mal… Alors je traduis la page de droite et j’expose les interrogations que je me pose à ce moment-là.

« Changer la vitesse d’obturation de projo pour voir film à 5im/s »
Un film est projeté à 24 images par secondes, que se passe-t-il, visuellement, si on le passe à 5 images par seconde ?
« Romancier »  je ne sais plus pourquoi j’ai écrit cela…
« Enquêtrice trouverait un film perdu, en noir et blanc »,  A l’époque, j’ignorais encore que mon enquêtrice serait Lucie. A ce moment, j’imagine une scène où Lucie tomberait sur un vieux film en noir et blanc, anonyme, inquiétant…
« Année 50/60 => Pellicule, caméra, des détails techniques sur le matériel de l’époque ».  Besoin de documentation sur le matériel cinématographique des années 50.
Pour le reste, j’ai moi-même du mal à me relire ! Ah si, j’ai barré un numéro de téléphone, pour des raisons de confidentialité…


Je ne parle pas de la partie gauche de la photo, mais les plus perspicaces auront noté que je m’interroge principalement sur des questions d’ordre cérébrales (noyaux gris centraux, images subliminales, neuropathologie…) Cela a une grande importance dans le roman, vous verrez.

 

Étape importante dans le processus créatif, cette recherche documentaire va concrétiser une idée, permettre d’asseoir sa fiabilité, donner de la matière, et aussi permettre de ne pas raconter n’importe quoi. Elle va donner une dimension de crédibilité au roman.

J’ai lu beaucoup de livres pour écrire le Syndrome, y compris, par exemple, des romans d’auteurs égyptiens dont l’histoire se passe en Égypte, car une partie du roman se déroule au Caire, mais loin, très loin des quartiers touristiques. Romans, livres techniques, vidéos, reportages m’ont nourri dans cette phase dite de recherches. A noter que Googleearth est un outil formidable, je m’en sers très souvent…

Ici, l’aéroport international du Caire. On voit même les avions, en haut, dans la partie gauche…

 
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 Autre genre de documentation : les photocopies d’une thèse sur l’anthropologie criminelle, qui m’a été généreusement prêtée par un médecin légiste : comment tirer le maximum d’information de squelettes retrouvés, par exemple, sous terre. Cela m’a été très utile pour l’écriture d’un chapitre du Syndrome…


Autres thèmes abordés dans le roman ? La violence, la neuroimagerie, la neurologie,  le cinéma, le subliminal,  la médecine légale, l’hystérie… Et bien d’autres encore…

Me concernant, cette phase dure globalement entre 4 et 6 mois.

Petit délire d’auteur :
Le roman débute avec la découverte d’un film : Lucie Henebelle, en congés, est appelée par l’un de ses ex petits amis : il est devenu aveugle pendant qu’il visualisait un film étrange, trouvé dans le grenier d’un vieux collectionneur.
Il fallait absolument que ce film étrange existe dans ma tête. De ce fait, je l’ai créé !! Vous pouvez le visualiser sur Youtube, à cette adresse : 

 

Lucie, dans le début du roman, visualise ce film (qui n’est pas tout à fait identique, il est encore plus étrange et malsain dans le roman, vous verrez, mais je n’avais pas les compétences cinématographiques nécessaires pour le créer ! ) Jetez un œil, vous verrez comment fiction et réalité peuvent se rejoindre…

Après la documentation écrite, je pars à la rencontre de spécialistes, afin d’obtenir les détails spécifiques à mon histoire. Pour le Syndrome E ainsi que pour le second volet du diptyque, j’ai rencontré, pêle-mêle : des médecins légistes, policiers, neurologues, professionnels du cinéma (réalisateurs, historiens), militaires, généticien, obstétricien, immunologue, ethnologue, médecins… J’ai téléphoné et ai été en contact avec des personnes au Canada (archivistes, personne ayant été confrontée au fait de société en 1960…) et en Égypte. Toujours des périodes d’enrichissement personnel très fortes. J’essaie toujours de retranscrire cette connaissance dans mes romans. Au-delà de l’intrigue, le Syndrome E transmet un savoir au lecteur.


A ce stade, j’ai une idée assez précise de l’histoire que je vais écrire. Je sais où je vais, vers quelle dénouement. Je connais les grosses étapes à franchir, les retournements de situations, mais entre deux, parfois, c’est l’inconnue. C’est un peu comme pour le Tour de France cycliste : on connait le tracé, mais cela n’empêche pas qu’à chaque étape, on ignore ce qui va se passer : va-t-il y avoir des chutes ? Des surprises ? Des échappées ? Dans l’écriture, il arrive que je prévoie une trajectoire pour un personnage, mais que la trajectoire change, parce que ce personnage prend les commandes du vaisseau !

L’écriture pure du syndrome E m’a pris environ 6 mois…

J’aime écrire en « Times new roman 12 », avec un interligne double. Question d’habitude… Changer cette mise en page me perturbe !

 Voici le tout début du Syndrome E.


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Le chemin vers la librairie n’est pas encore terminé. Cette étape est très importante, elle va permettre de ciseler l’histoire, procéder aux réglages, résoudre les incohérences. L’auteur est tellement dans son histoire qu’il en devient aveugle. Combien de fois m’est-il arrivé de lire, relire une phrase 10, 20 fois, sans me rendre compte que le nom du personnage n’était pas le bon ! Ou alors, les héros sont à 9h00 à Lille, et à 9h30, ils courent dans Marseille. L’éditeur a donc un rôle très important : il va travailler avec l’auteur afin de transformer une histoire en roman…

Voici un exemple de propositions de corrections, sur ce que l’on appelle les épreuves…


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Ci-dessous, le gros paquet d’épreuves, à relire pour travailler sur les corrections… 

 
Et après tout cela, fabrication de la couverture, de la quatrième de couverture, du livre…

Et finalement, le destin du Syndrome E vous appartient, chers lecteurs !
 

     Du même auteur : Biographie, chronique, interview     

Le site de Franck Thilliez
  
 
 
 





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