Christian Rauth







Juin 2010

 





Bonjour Christian Rauth, afin de mieux vous connaitre, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur vous et sur votre parcours ?
Mon parcours professionnel débute par le théâtre. J’ai eu une compagnie théâtrale très jeune (à 25 ans)  et j’ai créé de nombreuses pièces d’auteurs contemporains. Puis j’ai commencé à tourner comme acteur pour la télévision et le cinéma dans les années 80.
Je vous invite à consulter trois sites qui donnent plus de détail :
http://www.clubdesauteurs.com/contenu/pdf/christian-rauth.pdf
http://www.cineart.fr/Talents/cv/rauth-christian-473
http://www.teletek.fr /


Comment êtes-vous arrivé dans le monde de l’écriture ?
J’ai commencé à écrire des adaptations de pièces, puis des scénarios de clip vidéo pour des chanteurs. J’ai écrit mes premiers scénarios de télévisions dans les années 90. Ensuite est venu le temps du cinéma. J’ai écrit le scénario d’Omnibus en 1991, un court métrage de Sam Karmann, qui a reçu de nombreux prix, dont un Oscar à Hollywood.( DVD toujours en vente, au passage…) Le cinéma ne m’ayant pas tendu les bras après ce film, (et après un long métrage avorté à quelques jours du tournage),  j’ai écrit pour la télévision. Ainsi, j’ai créé la Série Les Monos pour France2, puis la série Père et Maire pour TF1, avec mon ami Daniel Rialet comme « sparring-partner » d’écriture.


A quoi ressemble votre journée de travail ?
Dans la phase de création de l’histoire et de sa structure, j’écris en général le matin très tôt, chez moi au calme, durant trois à quatre heures. Quand j’ai construit et écrit une première version, je peux alors travailler à toute heure, plus longuement encore et en tout lieu. J’adore par exemple, écrire dans le train : je voyage et voyage dans ma tête…En revanche, il est rare que j’écrive pendant un tournage.


Il faut pas mal d'imagination pour inventer une histoire, ou puisez-vous vos idées ?
On n’écrit pas vraiment avec « des idées ». On écrit avec l’envie d’exprimer son point de vue sur le monde. Quand un sujet s’impose à moi (et il est souvent très simple : la vengeance, l’amitié, l’amour, le désir de justice) je cherche les personnages et l’intrigue qui vont me permettre de développer le thème choisi. Et les décors dans lesquels les personnages évoluent, c’est très important les décors. Puis, je puise dans mon expérience personnelle. Cela dit,  j’écris avec ma « mémoire affective » comme dirait Freud, bien plus qu’avec des événements factuels car je ne prends  jamais de notes en vue d’une prochain scripte ou d’un prochain roman. Donc ce sont les faits marquants qui reviennent à la surface, ceux qui m’ont touchés intimement, ou qui m’ont faire rire…


Comment naissent vos personnages ? Utilisez-vous les caractéristiques physiques et/ou psychiques de votre entourage pour leur donner vie ou bien les inventez-vous de toutes pièces ?
« J’invente avec du vrai ».  Les personnages c’est l’essentiel de mon travail car ils  sont les porte-paroles de mon thème. En général, je fais une biographie complète du personnage, de sa naissance à sa venue dans l’histoire que je veux raconter. Je dois connaître ses parents, sa famille, son mode de vie, ses désirs, son signe astral, son point de vue sur le monde etc. Même son prénom fait l’objet d’une recherche, car les prénoms sont aussi une caractérisation forte du personnage.
Les caractéristiques physiques sont parfois liées à une personne que j’ai rencontrée, même si je m’en éloigne par la suite. J’ai pris cette habitude « d’incarner » de « caractériser » fortement mes personnages, car pour dialoguer, je dois voir et vivre la situation. C’est ainsi que le lecteur « visionne » la scène avec plus de facilité.


Quel est celui dont vous vous sentez le plus proche. Et pourquoi ?
Dans Fin de Série, celui qui pourrait me ressembler est évidemment Rob Marin, bien qu’il ne me ressemble qu’en partie. Je ne suis pas Rob Marin ! Mais Rob Marin pense parfois comme moi. En réalité celui qui m’est le plus proche c’est Gabriel Plume, le jeune flic Marseillais qui est une « réincarnation » rêvée de mon ami Daniel.   Cependant, tous les personnages me sont proches. Je les aime tous, même si j’en déteste certains comme Georges Destouches par exemple, ce facho antisémite et pervers, ou Milki ce flic raciste de la sécurité à la Gare Saint Charles.


S'il devait y avoir une adaptation ciné de votre roman, quels acteurs imagineriez-vous dans les rôles principaux, quel rôle aimeriez-vous tenir et pourquoi celui-là ?
Pour Rob Marin, j’imagine Jean Dujardin (On est très loin de moi, comme vous le voyez), pour son sens de la comédie et sa capacité à susciter l’émotion. Pour Gabriel Plume, pourquoi pas Laurent Deutch ou Pef ? Ils auraient tous deux la capacité de faire renaître l’humanité et la naïveté de Daniel Rialet qui a inspiré le personnage de Gabriel.
Quant à moi, je me verrais bien dans Attilio le patron de bar. Mais je n’ai pas encore 75 ans…   Ou peut-être Ramon qui est un personnage un peu lourdingue, mais à qui je pourrais donner un peu plus de sensibilité.


 En lisant "Fin de série", on ne peut s'empêcher de penser aux grandes séries policières, d'une part au vu de votre carrière mais également pour le décor du roman et sa forme narrative. En effet, on est loin des thrillers dits "à l'américaine" ou des romans noirs. Où situez-vous votre roman dans la littérature policière actuelle ?
Difficile de me situer dans la littérature policière actuelle sans tout de suite me comparer à des auteurs que j’admire. Or je ne veux pas me comparer.
Disons que Jean Bernard Pouy, Pierre Pelot, Tito Topin, Philippe Carrese, Connely (Créance de Sang) Stuart Kaminsky, Jean Vautrin, sont des auteurs dont je me sens proche. Maintenant, les auteurs dont je peux revendiquer l’héritage « stylistique » ne sont pas nécessairement des auteurs de polars. Audiard, Jeanson, (pour enfoncer des portes ouvertes…) mais aussi Alphonse Boudard, René Fallet, Donald Westlake, Albert Cohen, Henry Miller … et surtout Tom Sharp, qui est pour moi l’auteur le plus déjanté que je connaisse après Shakespeare.
Quant à dire qu’on est loin des thrilleurs à l’américaine, je ne sais pas. Je ne pense pas être si éloigné des romans de Westlake quand je repense à la bande de Dortmunder…

Sans en dire trop sur l'intrigue de "Fin de série", d'où vous est venue l'idée de départ ?
Il y a eu un événement déclencheur dans ma vie personnelle. J’ai assisté à une scène d’humiliation d’un ami par quelqu’un de « très médiatique ». C’était d’une grande injustice et d’une grande vulgarité. Et je me suis dit qu’il fallait partir de cette notion de « perte du sens commun » chez certaines stars du journalisme, de la chanson, du cinéma pour développer le thème de la vengeance et du pardon. Ensuite… les idées viennent comme pour venir appuyer le désir « premier ».
 
 
On remarque dans "Fin de série" une connaissance certaine du monde du grand et du petit écran. Et ce qui est intéressant justement c'est que vous utilisez ces connaissances avec justesse. A aucun moment vous ne noyez le lecteur dans des détails, vous n'en faites jamais trop. Est-ce un choix volontaire ? Une question de rythme ? N'est-ce pas trop frustrant pour une personne avec une telle carrière de se retenir alors que l'on voit de plus en plus d'auteurs contemporains emprunter un style légèrement encyclopédique ?
Non, pas frustrant du tout. C’est un choix volontaire. Je m’impose une règle : ne pas emmerder le lecteur. Les américains appellent ça le « turn the page ». Je veux que le lecteur se régale mais ne se goinfre pas. C’est une technique qui s’apprend, qui se travaille. J’ai fait cinq versions du livre. C’est comme en cuisine : on choisit les ingrédients, on mélange, on mijote longuement… et on réduit.
Et puis,  j’ai tout de même écrit plus de trente scénarios qui se sont tournés. Alors je commence à maîtriser certaines techniques narratives, bien que pour un roman les codes soient un peu différents.
 
 
Votre style est à la fois fluide et accrocheur. On sent une écriture maîtrisée et travaillée. Écrivez-vous depuis longtemps ou est-ce une nouvelle passion ?
J’écris depuis l’âge de 11 ans. J’adorais faire des rédactions à l’école. J’adore raconter des histoires. C’est sans doute lié à la solitude dans laquelle je me trouvais dans mon enfance.  Et j’ai une passion pour la langue française. J’ai dévoré des centaines de livres de toutes sortes. Ecrire et transmettre des émotions avec de simples mots, c’est un miracle.
J’ai commencé très tard à écrire des romans… j’avais une si haute opinion de la littérature que je ne m’en sentais pas capable. C’est Jean Bernard Pouy qui m’a mis le pied à l’étrier, avec Le Poulpe.
Et puis, quand je vois la médiocrité de certains romans « dit » d’auteurs, je ne regrette pas d’avoir écrit les miens. Tant pis si cela paraît prétentieux, mais pour être franc, je trouve que le petit monde Germanopratin de l’édition s’auto congratule avec une complaise qui exclue de nombreux auteurs de talents. ». Je ne parle pas nécessairement de moi. Benjamin Legrand, par exemple, vient de sortir au Seuil un très bon polar qui s’appelle « Le cul des Anges ». Qui en parle, quelle émission littéraire s’intéresse à ce livre ? Pour l’instant personne… ou presque. C’est son neuvième roman. Mais il ne fait pas partie du « tout littéraire ». Sans parler du fait que le Roman noir est un genre mineur pour de nombreux critiques.
 
 
Que voudriez-vous dire aux lecteurs qui n'ont pas encore lu votre roman ? Et à ceux qui l'ont déjà lu ?
Leur dire qu’un roman est un voyage et que je leur propose une croisière pleine de surprises. Il faut qu’ils prennent le risque de monter à bord, même si le capitaine vient d’avoir son diplôme… Ils vont se marrer et sans doute apprendre deux trois trucs sur le monde de la télévision et de la police française. Et j’espère qu’ils seront émus… C’est important l’émotion.
A ceux qui l’on lu ?
Je dirais d’abord merci. Ils ont dépassé les préjugés, les « a priori » que les médias nous imposent. Un roman se juge en le lisant, pas à la tête de l’auteur ou son passé, quel qu’il soit,  fût-il un acteur de série de télévision.
 
 
Quelles sont vos références littéraires et vos coups de cœur récents ?
J’ai vous ai déjà parlé de mes auteurs préférés un peu plus haut. J’ai oublié Simenon dans la liste, le maître de la simplicité.
Mon coup de cœur récent ?
Je dois avouer que j’ai très peu lu depuis quelque temps. Quand j’écris j’ai du mal à  rentrer dans d’autres univers.
Ma dernière lecture : Photo finish de Tito Topin. Bouleversant.  Ma dernière découverte : un auteur italien : Giorgio Scerbanenco : « à tous les râteliers »… un chef-d’œuvre d’humanité et de violence. A lire absolument.
 
 
En tant qu'acteur, dans quel film auriez-vous voulu jouer ? Et en tant qu'écrivain, quel roman auriez-vous aimé écrire ?
Quel film ?
J’aurais aimé joué dans « La Fête à Henriette » un de mes films préféré de Julien Duvivier, dialogues d’Henri Jeanson. Réalisation magnifique et dont certaines scènes n’ont rien à envier aux réalisateurs américains ( La poursuite dans le Gaumont Palace et le cimetière Montmartre, un must !) Et aussi dans le « Vol au dessus du Nid de Coucou ». De toute façon, j’aurais aimé jouer tous les rôles de  Jack Nicholson. Mais n’est pas Nicholson qui veut… Il faut savoir rester à sa place.
Quel roman aurais-je aimé écrire ?
Incontestablement « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, ce qu’on a écrit de plus beau sur l’Amour et la Passion. Vous voyez, on est loin du polar… Et si je dois donner un titre de roman policier: A tous les râteliers de Giorgo Scerbanenco.
 
 
Votre travail en tant que scénariste, a-t il influencé votre façon d’écrire ?
Evidemment ! Pour écrire un film il y a des règles et je m’en sers également pour le roman. Il faut les connaître, quitte à les malmener après. Et puis un film, c’est aussi des dialogues. J’espère que pour Fin de Série, les gens se souviendront de certains dialogues du roman.
 
 
Quel est la différence entre l’écriture d’un scénario et celle d’un roman ?
Un scénario est un travail, tout à la fois solitaire et collectif car le réalisateur a sa part dans le cursus de fabrication. Ensuite interviennent les acteurs, le chef opérateur, le monteur, pour donner vie à votre univers. Un scénario c’est un outil de travail, pas un objet fini. C’est une œuvre intermédiaire.
En revanche, écrire un roman est un exercice solitaire, qui prend un temps considérable. Personne n’est là pour vous dicter ce que vous devez écrire. Vous êtes seul responsable. Donc seul responsable de sa qualité ou sa médiocrité.
 
 
Des projets à venir ?
Plusieurs scénarios, mais je n’en parle pas. Le métier va mal, c’est très compliqué en ce moment pour aboutir un projet de film.
J’ai un roman en tête. Il vient de me tomber dessus. Comme dit mon ami Pierre Pelot : « - Certains indiens d’Amérique disent que toutes les histoires existent déjà dans le ciel. Un jour, une d’entre elles vous tombe dessus. Il faut savoir l’accepter. » Je peux juste vous donner le titre : « Même pas mort ! »

Merci, Christian Rauth, pour le temps que vous nous avez accordé, nous vous laissons le mot de la fin.
Je vais vous citer Jean de La Bruyère (1645-1696) :
« Il n'y a au monde que deux manières de s'élever, ou par sa propre industrie, ou par l'imbécillité des autres. «
J’essaie ma propre industrie… avec ce roman.
Son roman sur Plume Libre
 
Un grand merci à Mika pour sa collaboration sur cette interview.
 
 
 
 
 


 
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