Tim Willocks

 

Tim Willocks - Quais du Polar - Lyon 2012

Lire l'interview en anglais


Bonjour Tim Willocks, première question de présentation, qui êtes-vous Tim Willocks ?

Qui je suis ? Je me pose souvent cette question, mais la réponse ne semble jamais être la même. Et pourtant, dans le même temps, plus je vieillis, plus il me semble revenir à un moi plus primitif (comme avant). Cela me rappelle un dicton japonais : « L’eau change toujours mais la rivière reste la même ».
J’ai été élevé dans une ville ouvrière du Nord de l’Angleterre et suis parti à Londres pour devenir médecin. J’aime les montagnes mais la ville me manque. J’ai confiance dans ma force physique mais je gagne ma vie grâce à mon esprit. J’ai foi en Dieu mais je ne crois pas en lui.

Votre bio dévoile un parcours très varié (chirurgien, psychiatre, producteur…), quel a été le déclic pour vous lancer dans l’écriture ?
J’ai commencé à écrire des « romans » à l’âge de 11 ans, principalement des westerns inspirés par les films de Sergio Leone, j’ai donc été un écrivain avant de devenir autre chose. De 16 à 30 ans, j’ai arrêté d’écrire pour étudier la médecine et j’ai travaillé 117 heures par semaine. Le besoin d’écrire est ensuite revenu de manière compulsive.

Pourquoi avoir choisi le genre « thriller » / romans noirs, pour vos premiers romans ?
Les policiers / thrillers nous ouvrent l’accès à l’inconscient (ils permettent, en particulier, d’exprimer « la part d’ombre » telle que définie par Jung), et en même temps, ils offrent l’opportunité de peindre toutes les sortes de fresques sociales choisies. C’est donc un genre très flexible, il est également divertissant, passionnant et imprévisible.
En général, il n’est pas considéré comme de la « grande » littérature, mais je ne suis pas d’accord.
Dans un thriller, vous pouvez dire tout ce que vous voulez dire que ce soit au niveau politique, philosophique ou psychologique. C’est un genre littéraire merveilleux.
De manière générale, où trouvez-vous l’inspiration ?
Je trouve l’inspiration dans l’art qui a eu le plus grand effet sur moi, surtout dans ma jeunesse. A savoir, les films de Leone, Peckinpah, Kurbrick ; les livres d’Albert Camus, Raymond Chandler, John Steinbeck ; la musique de Marin Marais, John Coltrane, Bob Dylan, Tom Waits.
 Dans vos romans, vous explorez la violence des hommes et ses conséquences. En quoi vous fascine t-elle ? Pensez-vous que cela reflète notre société actuelle ?
La violence est une possibilité constante dans la vie humaine et le sera toujours, donc l’art est obligé de s’y intéresser. Je ne suis pas sûr de savoir pourquoi la violence me captive et me passionne autant surtout que je sais combien elle est affreuse. L’attrait semble être une force profonde, instinctive et primitive, une force puissante qui a besoin d’être contrôlée, mais je crois que le fait d’explorer la violence par le biais de l’art est un moyen de contrôle.
Pour en revenir à Jung, si « la part d’ombre » est réprimée ou non explorée, cela devient une maladie et le risque d’explosion augmente. Pendant la 1ère moitié du 20ème siècle, la violence a explosé, en partie à cause d’une répression de masse de cette part d’ombre et cela peut encore se reproduire. Je pense que si une culture laisse sa place à ses « ombres » (pulsions cachées, noires, honteuses et dangereuses), cela donne une culture plus saine. Aujourd’hui, les sociétés occidentales sont beaucoup moins violentes (du moins à domicile, pas à l’étranger) qu’elles ne l’ont été par le passé, mais je pense que c’est en partie dû à une liberté d’expression plus importante. La liberté d’expression est l’atout le plus précieux de nos sociétés et elle menacée, spécialement en Grande Bretagne.
Vos héros sortent du chaos en se transcendant grâce à l’amour ou au mysticisme. Sont-elles les deux seules voies pour en extraire l’homme ?
Je crois au pouvoir rédempteur de l’amour, dans ses différentes formes, et c’est un thème constant dans mon travail. Je trouve également que la notion de chaos a quelque chose d’exaltant et de libérateur. Du chaos naît un renouveau des valeurs, une affirmation de ce qui est digne. Aucun pays n’a traversé ce cycle aussi régulièrement que la France, c’est une des raisons pour laquelle je ressens une grande affinité pour la culture française. Je trouve également du réconfort dans le mysticisme alors que par définition c’est un sentiment qui défie la rationalisation.
L’unique moyen de libérer l’homme de la violence ? Non, je pense que la liberté, la justice sociale et économique et l’éducation libèrent les hommes de la violence, mais la littérature permet d’approcher ces sujets sous une forme poétique.
Dans Green River vous dénonciez les maux de l’univers carcéral tant sur les hommes emprisonnés que sur la société extérieure. Quelques années plus tard après l’écriture de ce roman, quel est votre regard sur l’univers carcéral actuel ?
Chacune des tendances négatives décrites dans « Green River » est devenue pire depuis que j’ai écrit ce roman, que ce soit dans les prisons américaines ou anglaises (je ne sais pas parler pour le système français). Il y a plus de stupidité, plus de maladie, plus de violence, plus de surpopulation et le plus alarmant est qu’il y a encore plus d’hommes en prison. Quand j’ai écrit ce roman (1994*), il y avait 1 million d’hommes incarcérés dans les prisons américaines. Aujourd’hui, il y en a 3 millions. C’est un échec choquant !
De plus d’une manière, le livre était prophétique notamment dans sa vision allégorique d’une société « panoptique ». La Grande Bretagne, en particulier, a déjà parcouru un long chemin sur la route du « panoptique » (de la surveillance constante) : les sujets de la reine (il est important de rappeler que nous ne sommes pas officiellement des citoyens) sont constamment scrutés par différentes méthodes. Le temps nous dira si cela mène à la révolte.
« La Religion » est un roman romanesque et dramatique, on pense par sa construction aux romanciers du XIX siècle mais aussi aux influences cinématographiques contemporaines pour sa puissance visuelle. Quelles ont été vos influences pour l’écriture de ce roman ?
Les romans de Conrad, Dickens, Cormac McCarthy ; l’Illiade d’Homère ; les pièces de Shakespeare and Marlowe ; les films de Leone, Visconti and Peckinpah ; l’art et la vie de Caravaggio ; et la musique de Marin Marais, ont été extrêmement importants pour ce roman.
Pourquoi ce changement d’univers par rapport à vos premiers romans ?
Je voulais raconter une histoire dénonçant le bain de sang du Grand Siège de Malte. Je n’ai pas vraiment réfléchi au changement de genre, cela m’a semblé très naturel. Je ne me sens pas confiné dans un genre en particulier, tout comme un réalisateur de films ne l’est pas. Les principes dramatiques et de personnages sont les mêmes.
Combien de temps ont demandé les recherches de documentation pour « La Religion » et sa gestation avant son écriture ?
Les recherches ont été la partie la plus facile car elles existent déjà. Le challenge le plus difficile est d’amener à la vie les personnages et l’histoire ainsi qu’un monde qui n’existe pas. J’ai réfléchi à « La religion » pendant de nombreuses années (quand je faisais des films) avant de me décider à l’écrire. Malheureusement, je n’ai que peu de contrôle sur mes pulsions d’écriture. Je ne sais pas comment les mettre en marche, donc je souffre souvent du symptôme de la page blanche.
Faire un roman qui examine les conflits religieux, ne peut qu’interroger et poser des questions sur un parallèle avec notre époque actuelle. Comment avez-vous évité de tomber dans ce piège de la comparaison et des levées de bouclier de l’une ou de l’autre religion ?
J’étais déterminé à rendre vrai chaque élément – chaque moment – de l’histoire uniquement à travers les personnages et leur monde. La vérité du roman est la seule priorité. J’estime que s’il y a des parallèles à tracer, le lecteur peut les faire lui même sans que l’auteur les lui pointe du doigt.
Le personnage de Matthias Tanhauser est très charismatique et complexe. D’où vous est venu l’idée d’un tel personnage ?
La première vision que j’ai eu de lui était très simple : il prenait son petit-déjeuner (boudin et vin rouge) dans une taverne violente du front de mer. Son personnage est parti de là. Pour citer Raymond Chandler, je savais que ce devait être « un homme taillé pour l’aventure sinon (son voyage) ne comporterait pas d’aventure du tout ». Je savais que ses origines devaient prendre leur source dans la violence et la perte. J’ai ressenti que ce devait être un homme sans pays, ni tribu. L’époque à laquelle il évolue étant riche de polarités et de paradoxes, je savais qu’il serait porteur de beaucoup de contradictions. Au fur et à mesure que l’histoire se développait, de nombreux autres traits de caractères sont apparus que je n’avais même pas imaginé. Mais c’est le cachet d’un grand personnage dans une grande histoire. Au final, Tannhauser s’est inspiré de l’histoire et du monde dans lequel il vit.

« La religion » est annoncée comme le 1er volume d’une trilogie. Où en êtes-vous de l’écriture des prochains tomes ? Pourriez-vous nous donner quelques informations sur la suite ?
La prochaine aventure de Tannhauser prend place dans un autre milieu extrêmement riche, complexe et contradictoire : la ville de Paris, pendant les jours sombres de fin août 1572. Si vous connaissez (ou découvrez) ce qui s’est passé à cette époque, votre appétit sera aiguisé.
Etes-vous un grand lecteur ? Quels sont vos références et/ou vos derniers coups de cœur en littérature ?
Je suis un lecteur avide mais difficile à contenter. Je suis un perfectionniste, raison pour laquelle mes propres romans sont aussi longs à écrire. Je lis beaucoup de « non-fictions » car, ironiquement, les évènements de l’Histoire et le monde réel sont très souvent plus dramatiques et fascinants que ceux décrits par les romanciers, ce qui me semble être un grand échec de leur part. Les auteurs sont souvent irréguliers et il est très difficile, voire impossible, d’écrire plus d’un chef-d’œuvre.
Mais voici les 5 romans que j’ai relu, et ce à maintes reprises, avec plaisir et crainte : « Blood Meridian » de Cormac McCarthy ; « Riddley Walker » de Russell Hoban ; « Le guépard » de Lampedusa ; « White Jazz » de James Ellroy ; « Lonesome Dove » de Larry McMurtry.
Qu’auriez-vous envie de dire aux lecteurs qui ne connaissent pas encore vos romans ? Par lequel leur conseilleriez-vous de commencer ?
Mes romans ne sont pas destinés à tout le monde mais je promets que chacun est spécial et différent des autres. Chacun est un voyage vers l’enfer le plus profond à la recherche de la rédemption. En thriller, essayez « Green River », pour une beauté épique, essayez : « La religion ».
Merci beaucoup Tim Willocks, nous vous laissons le mot de la fin.
Je vais vous citer une devise du grand Alfred Jarry qui m'a bien servi: «Dans un monde absurde, on est obligé de vivre une vie absurde. »


Go to top