Robert V.S Redick

 

 

Novembre 2009

 

 

 

 

 




Je tiens à remercier chaleureusement l'écrivain Michel Pagel qui a fait office de traducteur et de relecteur. Merci beaucoup pour ce précieux temps passé sur cette interview ainsi que pour le bon moment passé lors de ces Utopiales. Merci aussi à Estelle et aux Éditions Fleuve Noire pour cette rencontre.

Robert VS Redick, la première question rituelle de la présentation sur Plume Libre, Pouvez-vous nous dire qui est Robert REDICK ?
Je me le demande encore. J'ai fait beaucoup de métiers dans beaucoup de branches différentes. J'avais 9 ans quand un jour ma mère m'a fait découvrir le plaisir de la lecture cela a complètement changé ma vie. Environ un an plus tard, j'ai commencé à jouer aux jeux de rôles, surtout Donjons et Dragons. Je pense que ces deux évènements, qui sont arrivés dans ma vie presque au même moment, ont changé ma vie de manière radicale. Car,  d'un coté, j'ai eu l'expérience littéraire et de l'autre, l'expérience de la création, avec notamment le rôle du maître de donjons et la création de différents rôles (que je n’ai d’ailleurs jamais vraiment arrêté). Donc, c'est l'un des aspects de ma vie. Mais j'ai toujours su au fond de moi, avant même d’y penser, que j'allais devenir un écrivain de Fantasy.

J'ai passé beaucoup de temps dans d'autres domaines avant de réaliser ce rêve. J'ai travaillé dans le développement international et j'ai un diplôme appelé « Développement et conservation tropical » qui m'a amené à beaucoup travailler en Amérique du Sud et notamment en Argentine et Colombie.   Je suis marié avec une Indienne qui fait également des recherches en Amérique du Sud.  J’ai également travaillé comme critique de théâtre et pour une organisation qui lutte contre la pauvreté qui s’appelle "Oxfam". J'ai donc lentement retrouvé ma voie vers la science-fiction et la Fantasy et maintenant, c'est vraiment un rêve qui est devenu réalité : celui d'écrire à plein temps.


Comment s'est passée la recherche de la maison d'édition ? Parcours du combattant ou conte de fée ?

 Bonne chance (en français, rire)! Je venais juste de terminer un premier brouillon du livre et j’ai commencé à contacter des agents. Car vous savez, aux Etats-Unis, comme en Angleterre je crois, il est obligatoire de passer par un agent. Faire sans, est impossible, sauf si vous êtes déjà célèbre pour d’autres raisons. Plusieurs agents new-yorkais ont dit non et un agent que j'avais contacté à Londres a dit oui. Il était très enthousiaste après avoir lu mon manuscrit.  Son nom est John Jarrold  Il s’est avéré très professionnel car environ 10 semaines après, il m’a trouvé un super contrat que j'ai signé. J'ai été très chanceux de tomber sur lui à cette époque car il était en pleine réorientation professionnelle (il était passé d’une maison d’édition au statut d’agent) et il a donc pu me consacrer beaucoup de son temps.  Depuis, il a dû signer une cinquantaine d’autres auteurs et il est maintenant très occupé.

Que ressent-on lors de sa première publication ?
C'est un sentiment irréel et une joie surréaliste, bien sûr.

Est-ce que vous aviez une appréhension ?
Dans un sens seulement. J'avais peur que l’on me demande d’écrire vite.  Vous savez quand vous n'êtes pas publié, vous pouvez prendre tout votre temps car tout le monde se moque de ce que vous écrivez (rire). Une fois publié, je craignais d'être harcelé par mon agent ou mon éditeur pour avoir la suite, encore plus dans mon cas car j’écrivais une trilogie. Je ne voulais pas me lever le matin en me disant "Oh il faut que j'écrive vingt pages aujourd'hui" (rire). Tout le reste n'est que joie.

L'ECRITURE

Quelles sont vos influences littéraires ? Est-ce que vous vous revendiquez-vous d'un auteur en particulier ?
Il y en a tellement ! J'ai beaucoup de « maîtres » dans l’univers de la science-fiction et de la Fantasy, mais également dans d’autres littératures, et je les aime pour différentes raisons.  Bien sûr, Tolkien est un de mes plus anciens « maîtres » en littérature. Après cela dépend aussi de l'âge. Quand j'étais plus jeune, tous les écrits de Ray Bradbury étaient importants pour moi. Aujourd'hui, plus autant.

En dehors de la Fantasy et de la science-fiction, il y a beaucoup d'écrivains sud-américains qui sont importants : Gabriel Garcia Marquez est fondamental, Julio Cortazar, qui a d'ailleurs passé une partie de sa vie en France, écrivait des histoires brillantes et magnifiques. Il y a aussi les russes, comme Dostoeïvski et tellement d'autres.

Comment définiriez-vous votre style?
Je dirais « complet ».  Mon premier désir est d’écrire de gros romans pour pouvoir créer des mondes complexes ainsi qu'une vision complexe de ces mondes. Et surtout des personnages avec une vraie vie intérieure. C'est ce que je recherche également en tant que lecteur. Si le personnage est trop linéaire et qu’il n’arrive pas à me surprendre notamment au niveau de sa psychologie, c'est comme un coca-cola sans bulles (rire). Je ne peux pas le boire.  Je n’arrive pas à lire, c'est plat. Donc j'essaie d'éviter cela quand j'écris.

LA CONSPIRATION DU LOUP ROUGE

 

Comment vous est venue l'idée du roman ? D'où est partie cette épopée ?
C'était très étrange. J'ai d’abord eu la vision d'un magnifique vaisseau, gigantesque, naviguant près des rochers. En fait, j’étais en Argentine à cette époque et je marchais le long d'une promenade sur la côte Atlantique, c'était un endroit ridiculement romantique, quand on y réfléchit.  Il y avait beaucoup de vent et à une centaine de yards, il y avait cet énorme navire qui arrivait. J'ai donc gardé cette image dans ma tête pendant plusieurs années. Plus tard, quand j’ai commencé à écrire le roman, je voulais parler du pouvoir sous toutes ses formes et notamment économique.  J’ai donc imaginé que le récit pourrait se dérouler sur ce vaisseau, qui parcourt le monde, comme la métaphore d’une grande capitale, très riche et puissante, qui voudrait s’affranchir de l’empire. Quand j’ai commencé à planifier le roman, Georges W Bush a décidé d'envahir l'Irak. Du coup, pleins de nouveaux sentiments, de nouvelles idées et de colères se sont emparés de moi.  Et l'histoire a tout de suite pris de l'ampleur pour finalement aborder des thèmes tels que la guerre, la déception, la trahison, etc.…

Aviez-vous dès le départ de la rédaction du roman la volonté de faire une trilogie ou est-ce venu au cours du récit ?
Non, au début, je voulais faire un seul livre, court (rire). Ma première intention était de faire quelque chose de moins grand, mais après avec le thème de la guerre, il y avait tellement de chose à dire que cela a pris des proportions énormes.

Où en êtes-vous de la rédaction de la suite de la trilogie ? Savez-vous ce que vous allez écrire après cette trilogie ? Allez-vous restez dans le même genre ou bien allez-vous en essayer d'autres ?
En fait, c’est devenu une tétralogie maintenant. Mais je me suis promis d'arrêter là (rire). Je suis en train d'écrire le volume trois. Le tome deux a été publié avant-hier (nov 2009 NDLR) au Royaume-Uni et sera publié en février aux Etats-Unis.

Puis j'aurai une importante décision à prendre : j'ai des idées pour un nouveau livre qui sera dans le même monde qu'Alifros, mais avec un reflet distordu de cet univers et d’autres idées pour un roman sur Edgar Allan Poe et Thomas Jefferson qui sera un projet très différent. Je dois donc choisir par lequel commencer.

Est-ce que celui sur Alifros sera une trilogie ?
Je ne pense pas. Je voudrais écrire une histoire qui tienne en un livre.  Et décider ensuite, éventuellement, si je veux rajouter à la suite un ou deux romans.  Si dès le début, j’annonce qu’il va y avoir une suite alors je serais obligé de l’écrire (rires).

Michel Pagel : Ce que tu devrais faire c'est planifier une nouvelle (rires)

Comment est né le capitaine Rose ? Est-ce que vous vous êtes inspiré de capitaines célèbres ?
Je ne me suis pas inspiré de capitaine célèbre mais d'une personne étrange que j’ai connue. Je l'ai rencontré lors de mes études supérieures et il était vraiment très étrange. C’était un des experts mondiaux en animaux carnivores. Il avait une énorme cicatrice sur son visage qui, selon la rumeur, lui avait été faite par un hippopotame. Et c'était un terrible buveur. Il avait une réputation sulfureuse à cause de son tempérament agressif, il était très grand. Donc visuellement, c'était le parfait capitaine Rose.  Cependant, il y a tellement de merveilleux personnages qui jouent le rôle de capitaines que ce soit dans des space-opéra ou dans des romans de voyage,

Vous devez probablement être au courant de ce vieux débat : Est-ce ou non de la science-fiction ? C'est l’éditeur qui décide de le publier en tant que science-fiction ou pas. Je n'arrête pas de lire des livres qui sont estampillés Fantasy ou science-fiction même s’ils ne l'admettent pas. Il y en a un, que je n’ai jamais rencontré, qui s'appelle Barry Unsworth, un brillant auteur anglais. Il a écrit un roman « Sacred Hunger » à propos d'un navire d'esclaves qui traverse l'Atlantique. C'est un roman qui commence classiquement mais qui passe du coté fantastique sur la fin. Il y a aussi le portrait d'un capitaine très charismatique qui a été, je pense, aussi une source d'inspiration pour moi.

Comment vous est venue l'idée des animaux éveillés et des lutins trottins ?
Pour les animaux, cela a été un moment très étrange et très heureux.

J'étais en train d'écrire une scène où le capitaine Rose, sa sorcière conseillère et le vétérinaire, M. Bolutu, font un trajet en carrosse dans la capitale pour se diriger vers le vaisseau. Je savais que j’étais en train d’écrire une scène où tous les personnages étaient très tendus et très tristes et ne s’exprimaient pas.  Mais je ne savais pas encore si la scène allait rester car je n’avais écrit qu’une trentaine de pages et il me restait donc beaucoup de décisions à prendre.  Et la sorcière avait un chat, un gros chat roux, dans le carrosse. Il y avait un long silence dans la scène et quelqu'un devait dire quelque chose. Et soudain, le vétérinaire dit "Est-ce que votre chat est un animal éveillé ?". Je ne savais pas ce que cela signifiait et encore moins que cela allait devenir l'un des principaux thèmes du livre.

C'est sûrement l'une des magies de l'écriture où, sans aucun avertissement, quelque chose vous apparaît et cela prend des proportions énormes.  C'est un sentiment merveilleux.  C’est magique !

Et en fait, c'est logique. Au début du livre avec l'histoire du vaisseau, je voulais jouer avec la notion d'échelle pour explorer toutes les dimensions de ce bateau. Donc, les petits trottins, si minuscules, pouvaient du coup aller plus loin dans son exploration. J'ai aussi rapidement pensé que des êtres aussi petits ne pouvaient survivre qu'en s'organisant autour d'une société structurée. J'ai également aimé tester leurs réactions dans des situations extrêmes.

UTOPIALES

Est-ce votre première fois aux Utopiales ?
Oui c'est la première fois. C'est un immense plaisir. J'adore. J'y suis depuis jeudi.

Comment trouvez-vous le salon et plus généralement de quel œil voyez-vous ce type de manifestation ?
J'adore, je n’avais jamais participé à une manifestation de ce type. Je suis plus habitué aux conventions de science-fiction.  Par rapport aux conventions auxquelles j’ai assisté aux Etats-Unis, je trouve que c’est un endroit avec des débats très intéressants. J'ai vraiment rencontré des gens curieux d’échanger leurs points de vue et cela a été un vrai régal. De plus, beaucoup d’événements variés se déroulent ici. Les conventions aux Etats-Unis, auxquelles j’ai assisté, étaient plus centrées sur le business, l’argent et le merchandising autour de la science-fiction. Mais des galeries d'exposition de peinture (référence à l'exposition Léo et Dinotopia) comme ici,  je n'ai jamais vu cela ailleurs, un ou deux tableaux, oui, mais pas une galerie complète. Il y a en plus des concerts, du théâtre, du cinéma. C'est vraiment très dynamique et multiculturel.  Je m’amuse vraiment beaucoup.

DIVERS

Êtes-vous un « gros » lecteur de romans ? Est-il facile quand on est écrivain de se détacher de la mécanique de narration des autres auteurs pour savourer un roman ?
J’aime beaucoup cette question et je vais y répondre de deux façons.

En tant qu'écrivain, je trouve que plus j'écris et plus j'ai tendance à disséquer un livre quand je le lis. Mais, je pense que c'est un danger pour l'écrivain, même si effectivement cela peut être très utile.

Je crois qu’il faut protéger la manière de lire que l’on a développé avant de devenir un professionnel de l’écriture, car c’est une sorte de « savoir ».  Si vous arrivez à conserver ce savoir, cette connaissance, c’est un avantage pour l’écrivain. Un avantage qui remplace toutes les analyses que l’on pourrait faire sur la structure, le point de vue ou bien encore les techniques… Si on perd ce « savoir » qui nous procure tant de joies en tant que lecteur, on devient une espèce de charpentier plutôt qu’un artiste. Je ne lis pas en disséquant.

L'autre façon de voir la question est que j'ai parfois besoin d'arrêter de lire quand j'écris, car malheureusement il n’y a pas assez de place dans mon cerveau (rires). Je ne suis pas assez disponible pour de nouvelles expériences de lecture quand je rédige.

Vos derniers coups de cœur littéraires (tant au niveau roman, BD, cinéma, peinture...) ?
Je viens juste de finir un livre d'Adam Roberts qui s'appelle "Yellow Blue Tibia" qui relate l'histoire d'un groupe d'écrivains soviétiques de science-fiction rassemblés sous la houlette de Joseph Staline en 1945. Il leur ordonne d'inventer un extra-terrestre réaliste qui deviendrait le nouvel ennemi de l'URSS. Staline pense en effet que les USA vont  s'effondrer et qu’un nouvel ennemi serait nécessaire pour fédérer le peuple russe. Quelques semaines plus tard, le projet est annulé et une consigne de silence est passée aux auteurs sous peine de mort. Plus tard, au moment de Tchernobyl, les survivants de ce groupe réalisent qu'il y a une invasion de type extra-terrestre, leur extra-terrestre virtuel. C'est très bien écrit, très drôle avec ce sens de l'humour russe typique.

Merci beaucoup, vous avez le mot de la fin.

Je suis heureux et très conscient du privilège que j'ai. Je suis sincèrement heureux d’avoir rencontré aux Utopiales autant de merveilleux écrivains français, d’amoureux de science-fiction, d’avoir eu tant de superbes conversations…  C’est un super privilège et j’espère bien pouvoir revenir.

 

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